Un jour, j’irai vivre en Théorie parce qu’il paraît qu’en Théorie, tout va bien. (Les mots surpendus)

lundi 11 juillet 2011

Le mystère du jury Turcotte:

Toute cette histoire me donne de l’urticaire.
Lolo 

Le médecin Guy Turcotte, cardiologue en rupture de sa femme, s’en trouve si mécontent qu’il tue à coup de couteau leurs deux enfants en bas âge. Beaucoup de coups de couteau. Comme César. Mais il s’en charge tout seul, comme un grand ; ils sont si petits… Ce qu’on appelle la Justice intervient et lui demande des comptes, mais Turcotte a la réponse qu’il faut : «  J’ai perdu la tête… je ne sais pas ce qui m’a pris… Désolé. Ça va mieux maintenant. Puis-je m’en aller chez moi ? Je me sentirai encore mieux quand j’aurai oublié tout ça… »
Ce ne sont pas ses paroles exactes et il avait des avocats pour le dire autrement, mais c’est ce que nous avons tous compris. Alors sitôt dit, sitôt fait et Guy Turcotte va rentrer chez lui. Pas de prison, où d’autres détenus auraient pu le brusquer, car les pires criminels ont parfois la prétention de rester les pires en éliminant les tueurs d’enfants : Turcotte va rentrer chez lui..
La population aussi, maintenant, est mécontente Si on en croit les réactions dans les médias, du Web aux lignes ouvertes de radio en passant par les commentaires sur les blogues, au moins 75% des gens  seraient ravis que quelqu’un perde la tête le temps de tuer Turcotte à coups de trique ou autrement et ne l’en tiendrait pas « criminellement responsable ». Elle payerait même pour qu’il ait lui aussi un avocat habile.


 
la suite
Parce qu’il a fallu du génie à l’avocat de Turcotte. Simple question de statistiques. Si 75% de la population croit que Turcotte mériterait, à défaut de la corde qu’on a écartée - contre l’avis, soulignons-le, de la majorité de la population ! – au moins la prison a vie , il n y a qu’une « chance » sur 4 194 304 pour que onze (11) personnes choisies au hasard comme représentatives de cette population décident unanimement qu’il doit être élargi. C’est l’ordre de grandeur de gagner le grand prix à la 6/49. Chanceux, ce Turcotte….
Chance, ou plus probablement un avocat génial qui a fait que le jury NE SOIT PAS un échantillon représentatif de la population. Un avocat qui est parvenu à ce que ce jury-là soit LA combinaison parfaite - sur 4 194 304 -  qui pourrait être persuadé que Turcotte a pris congé de la réalité le temps qu’il fallait pour tuer ces enfants. Les enfants d’une femme qu'il voulait voir  souffrir autant qu’elle avait fait souffrir l’égo du pauvre docteur Turcotte.
Il y a une façon tout à fait légitime pour un avocat habile d‘avoir un jury à son goût. Il a le droit le poser des questions à ceux qui peuvent devenir jurés et de faire rejeter ceux dont il  peut deviner qu’ils ou elles ne rendront pas le verdict qu’il souhaite. Il faut poser les bonnes questions et bien les interpréter. Lire leurs motivations inconscientes. Virer tous ceux qui auraient des préjugés. Des préjugés  contre les pères qui tuent leurs enfants pour se venger de leur femme, par exemple. Ce n’est pas si facile, il y en a beaucoup… Il faut être patient et motivé. C’est le rôle d’un bon criminaliste qui, c’est la moindre des choses, ne doit avoir, lui, aucun préjugé contre les criminels, pour diaboliques qu'ils soient.
L’avocat de Turcotte a fait un bon boulot et doit être félicité. Si vous pensez plus que jamais, en voyant l’Affaire Turcotte, que le rôle actuel des avocats n’est pas de faire prévaloir la justice, mais d’apprivoiser l’injustice - et qu’un systeme judiciaire devrait fonctionner autrement - luttez pour que le système soit changé, mais ne blâmer pas l’avocat de Turcotte. Ce serait aussi bête que de blâmer nos soldats qui vont, en service commandé, tuer parfois des enfants, eux aussi, en Libye ou en Afghanistan tout ça est parfaitement légitime. Dans l’affaire Turcotte, toutefois – ou plutôt dans l'Affaire du jury de l’affaire Turcotte - il subsiste une petite inquiétude. C’est qu’ils n’étaient plus douze (12), mais onze (11) dans ce jury. C’est inusité. Pourquoi onze ? ? Parce qu’un des jurés a été accusé par un autre de ne pas être impartial, d’avoir des préjugés…  et a été exclu. Évidemment, si on peut simplement exclure du jury ceux avec qui l'on n’est pas d’accord, ça facilite grandement les choses pour obtenir le verdict qu’on souhaite.
C’est inusité qu'on exclût de cette façon, parce que si l’on est membre d’un jury et que l’on n’est pas d’accord avec un autre membre du jury, normalement on en discute. On est là pour ça. Une vie en dépend et la justice elle-même, comme le respect que la population peut garder à la justice, repose sur cette discussion. Ce n’est pas rien. On prend le temps d’en discuter. On devrait.
Celui des jurés qui en fait exclure un autre ne voulait pas discuter. Il devait être TRÈS motivé - au moins autant qu’un avocat de la défense -  et avoir lui-même un préjugé contraire, mais au moins aussi fort, que celui qu’il voulait faire exclure. Il semble que c’était bien le cas, ici, puisqu’un juré a bel et bien été exclu. Puis, les 11 autres ont pu s’entendre.
Ils ne se sont pas entendus tout de suite, bien sûr. Quand vous voyez les faits et écoutez les arguments dans cette cause, il n’est pas certain que  renvoyer Turcotte libre soit pour tous la solution évidente. Mais elle était évidente au moins pour celui qui avait demandé l’exclusion de son collègue juré, cependant…. Il avait, lui, une opinion bien ferme et il  Ã©tait TRÈS motivé. Il y avait au sein du jury un Grand motivé. C’est ça, la clef du mystère.
Supposant que les autres jurés n’aient pas de préjugés, mais seulement la motivation normale de discuter pour en arriver honnêtement à un verdict raisonnable, un phénomène connu, tout à fait normal et prévisible va se produire. Inlassablement, le Grand motivé va leur  dire qu’il y a TOUJOURS un doute raisonnable. Pourquoi s’entêter a condamner quelqu’un ? Condamner un innocent serait un crime, laisser partir un coupable ne fait de mal a personne… Pourquoi perdre tout ce temps ? Allons, hop, on finit et on rentre chacun chez soi, Turcotte comme les autres avec le temps qui passe et l’ennui qui s’installe, chaque juré "normal" va défendre son opinion avec de moins en moins d’opiniâtreté, les moins motivés jetant la serviette les premiers. Un a un, tous les quidams lambda - qui sont essentiellement paresseux et qui ne sont pas vraiment concernés -  se disent qu’il serait stupide de perdre des journées d’été et que « Ã§a ne ramènera pas les enfants »… Alors, comme il arrive si souvent, tous les "peu concernés"  se rangent un à un au pas d’oie derrière celui qui est un Grand Motivé, chaque  transfuge  vers le camp du « Grand Motivé » lui donnant plus de force pour attaquer ceux qui résistent. Celui qui roule les biceps gagne sur ceux qui haussent les épaules.
Le Grand Motivé en retire une grande satisfaction. Ne lui cherchons pas d’autres raisons; les procureurs (e)s de la Couronne, qui ne sont sans doute pas de jeunes novices, ont certainement déjà fait les enquêtes nécessaires pour s’assurer qu’aucun des jurés - dont le Grand Motivé - n’ont de liens avec le meurtrier ni avec ses avocats et que leur trajectoire de vie n’a jamais croisé celle des intéressées. Il serait inconcevable qu’elles ne l’aient pas fait, n'est-ce pas ?
Disons donc que  la libération du meurtrier, Ã  l’image du meurtre lui-même, s’est réglée sur une question d’amour propre. Ne cherchons donc pas plus loin… Mais la Justice en prend un coup dans les dents. Il nous manquait un procès O.J’Simpson au Québec pour avoir vraiment un système à l’Américaine ; maintenant c’est fait.
Penser qu'on a choisi de laisser courir un meurtrier pour ne pas rater une partie de golf peut donner de mauvais rêves, toutefois. L’un ou l’autre des jurés aura-t-il des remords et en dira-t-il plus, publiquement, sur comment  tout ça, c’est passé ? Peu probable, car il est interdit de le faire. …
Mais ce qui est bien probable, au contraire, c'est que l’un ou l’autre  s’en ouvrira  Ã  sa femme ou à sa fille quand, choqué du verdict auquel il a contribué, l'une ou l'autre ou son fils le traitera de pauvre mec. Tout aussi probable que sa femme, sous le sceau du secret, en parlera à la voisine qui l’aura regardée avec mépris, ou que sa fille se confiera à sa meilleure amie, pour qu’on ne parle plus de son taré de père dans son dos à l’école… Ça circulera. Puis les blogueurs parleront. Et tout le monde saura.
Je présume que tous les mafieux et les Hells, à ce moment-là, auront alors depuis longtemps pris bonne note des coordonnés de l’avocat et seront par la suite plus souvent parmi nous. Je préfèrerais de beaucoup, de toute façon, serrer la main de l’un ou l’autre d’entre eux que celle de Guy Turcotte. À voir Turcotte de près, je risquerais un accès de folie temporaire.
Pierre JC Allard

1 commentaire:

May West a dit…

Je n'ai pas suivi cette affaire comme bien des gens l'ont fait. Par conséquent, je ne peux pas me vanter d'avoir une opinion sérieuse sur ce procès.

Maintenant que j'ai lu ce texte écrit par J.C. Allard, j'ai au moins retenu une chose: que serrer la main de Guy Turcotte, c'est comme de serrer celle du Diable.

Plus machiavélique que ça, tu meurs! Et pour de vrai!

May