Un jour, j’irai vivre en Théorie parce qu’il paraît qu’en Théorie, tout va bien. (Les mots surpendus)

samedi 3 septembre 2011

Ces vieux qu'on adore détester

Ce texte peut très bien s’adapter envers les Québécois.
Moi-même, je ne suis pas très loin d'être un nouveau con
Lolo.

Ces vieux qu'on adore détester
"Les cons, ça ose tout. C'est même à ça qu'on les reconnaît", disait Audiard. Étudier les cons est tout aussi passionnant que déprimant. Etienne Liebig leur consacre un livre : "Les nouveaux cons". Aujourd'hui il s'attaque aux retraités... Extraits.

"Et on finit par les voir tous les matins, prêts, la poignée du caddie bien serrée dans leurs mains décharnées, à neuf heures précises, sur le parking du supermarché"... Crédit Reuters
Ce nouveau con arrive tout d’abord en pleine forme à l’âge de la retraite : professeurs, fonctionnaires, employés de bureau, ils ne se tuent pas beaucoup à la tâche, ont du pouvoir d’achat et savent qu’ils sont partis pour trente ans d’une nouvelle vie.
Leur principal souci : la tranquillité pour profiter de « cette retraite bien méritée ». Dès ce moment, leur vie va consister à donner leur avis sur tout, tout le temps et partout, alors qu’ils sont déconnectés de la réalité et jugent les autres à l’aune de leur propre histoire. Ils représentent une minorité qui s’exprime, car elle a les moyens de le faire, et qui impose son point de vue au reste du pays. Cela tombe bien, car les politiques décisionnaires (députés, sénateurs, édiles de la nation) sont aussi de cet âge un peu révolu qui s’accroche à ses privilèges. Après avoir emmerdé le monde une partie de l’année avec leurs petites idées ringardes, ils partent six mois en tracking, au Maroc, pour se faire masser en balnéothérapie ou dans une île à la con, dans un océan quelconque. La politique économique du pays se fait en fonction de leur bon vouloir, puisqu’ils possèdent du fric qu’ils placent sans état d’âme au plus offrant, surtout s’ils se disent de gauche. Ils sont inutiles et prétentieux, mais tiennent les rênes du pays et aucun pouvoir politique, aucune banque, aucun média ne peuvent faire sans eux. Par-dessus tout, ces poids morts ont du temps, la santé et s’emmerdent à en crever. Ils s’incrustent alors partout : dans les associations, dans la vie locale, dans les partis politiques, imposant leurs idées par le nombre et fermant leur clapet aux jeunes qui cherchent à faire évoluer les mouvements.
On les écoute, car leur expérience leur donne de la respectabilité, mais ils empêchent tout changement, car leurs références restent celles de leurs rêves enfouis. Ils ont occupé la France et se font entendre plus fort que tous les autres réunis. Ils votent pour le plus ringard et on est obligé de tenir compte de leur choix. Les vieux qui fermaient leur gueule au début du XXe siècle sont devenus, depuis les années 2000, les nouveaux princes de cette société sans repères. Les lubies de ces nouveaux vieux cons deviennent les lubies de tout le monde par médias interposés, puisque ce sont eux qui font marcher les télés et les journaux : la santé, la sécurité, le salaire des patrons, les placements, le CAC 40, la vie de la bourse, les films des années soixante, le rock, Dalida et Johnny. Des sujets dont tout le monde se foutrait si on ne nous les resservait en permanence pour plaire à ces nouveaux cons. Fuyant les grandes villes pour échapper au bruit, à la pollution et aux gosses, ils se retirent à la campagne, où ils imposent leur mode de vie de bourgeois en méprisant les habitants locaux. Ils l’imposent très logiquement à leur propre entourage, qui dépend de leurs faux élans de générosité. Depuis la crise et la montée de la misère, les vieux font la pluie et le beau temps des jeunes dans la merde. Ils hébergent, en échange de gentillesses et de mamours, prêtent de la thune contre les bisous du petit dernier, et tiennent tout le monde en otage avec le blé que leur a rapporté la France des Trente Glorieuses. Comble du malheur, ils ne se décident jamais à crever et emmerdent le monde pendant des années.
Et on finit par les voir tous les matins, prêts, la poignée du caddie bien serrée dans leurs mains décharnées, à neuf heures précises, sur le parking du supermarché. Dès que le rideau métallique s’ouvre, ces nouveaux cons se précipitent, se bousculant les uns les autres comme s’ils allaient manquer de nourriture. Ils déambulent dans le magasin, attrapent leur chocolat, leur jambon, la bouffe pour chats, leurs gâteaux, leurs yaourts, en retournant tous les rayons pour avoir les plus frais. À la caisse, ils ont oublié le code de leur putain de carte bleue et énervent tout le monde avant de payer en liquide – tout cela, en faisant la gueule. Ensuite, ils se ruent vers leurs voitures et retrouvent leurs vieilles femmes aigries. À neuf heures et demie, ils sont devant leur télé et se font chier toute la journée jusqu’au soir en enchaînant les feuilletons allemands et les jeux débiles. Ces nouveaux cons n’ont plus qu’un seul souci : bâfrer en regardant leur quéquette se recroqueviller inéluctablement. Plus d’activité, plus d’amour, plus d’espoir, plus de projets… Juste de la haine envers les jeunes, les femmes, les riches, les pauvres, les immigrés et les journalistes. En hiver, ils se tirent au soleil pour économiser le chauffage et apprendre les bonnes manières aux Maghrébins dans les hôtels de Marrakech, en se faisant masser par des gamines à leur service.
On croit toujours qu’ils vont crever, mais ils tiennent bon. Sécu, mutuelle, bonne bouffe, ils sont la rente viagère du toubib de quartier et la désolation des comptes de la Sécu. Ils usent et abusent des médecins, des hostos, des opérations, des cures, des médocs et des hospitalisations d’urgence. Toujours, ils s’en sortent. C’est le fameux syndrome du cent pour cent : pourquoi ne pas faire venir le docteur même si je ne suis pas malade ? De fait, la santé est leur unique sujet de conversation : les douleurs, la diarrhée verte, la constipation, la prostate, les cancers divers et variés. Leur univers est grand comme leur nombril, mais depuis peu, ils ont Internet et envahissent la toile de leurs opinions de vieux cons et d’échanges sur leurs problèmes d’intestins bloqués. La France va bientôt leur appartenir entièrement et nous ne pourrons rien y faire. Souvent accrochés à leur fenêtre comme un trader à son parachute doré, ils surveillent la rue, veillent à ce que rien ne vienne perturber leur petite vie d’orvet. Au moindre bruit, au moindre cri de gamin, à la moindre engueulade d’ados, ils pressent l’unique touche de leur téléphone portable simplifié et préviennent la police qu’un danger guette leur tranquille tranquillité.

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