Un jour, j’irai vivre en Théorie parce qu’il paraît qu’en Théorie, tout va bien. (Les mots surpendus)

mardi 17 septembre 2013

Père Amet, exorciste : un guerrier pacifique


Dans nos villes et nos campagnes, des prêtres exorcistes officient et selon l’Eglise catholique, la demande est croissante. Loin des clichés scabreux, le père jésuite Henri Amet, exorciste pendant dix ans au diocèse de Lyon, nous confie son expérience.


Le père Amet se souvient comme si c’était hier de ce dernier rendez-vous au terme d’une longue journée de consultation. Fabien, 38 ans, célibataire, s’assoit en face de lui et dit : « Mon père, j’ai fait un pacte avec le diable. » Attiré par le satanisme, familier des rites d’envoûtement, l’homme a acheté un livre de formules en latin, et a demandé entre autres la mort de ses parents avec qui il ne s’entend pas. Lorsqu’ils sont tombés malades sans raison apparente, que sa propre santé s’est dégradée, il a paniqué. Souffre-t-il de troubles psychiatriques ? Peut-être. Mais c’est sur les conseils d’un psychiatre qu’il vient voir le prêtre. Le suivi de Fabien va durer plusieurs années.
Assis à son bureau, dans sa chambre de la communauté François de Salles à Lyon – un espace sans télévision ni rien de superflu – le père Henri Amet poursuit sa réflexion sur l’homme, créature partagée entre volonté de faire le bien, et incapacité de ne pas faire le mal. La doctrine de l’Eglise fournit des explications du mal. Mais la fonction d’exorciste interroge perpétuellement.
« On ne sort pas indemne d’un entretien avec un consultant qu’on considère comme un frère ou une sœur et non comme un cas à traiter » explique le Père Amet. Les gens qui se présentent sont avant tout des blessés de l’âme, dont certains attribuent leur malheur à la sorcellerie ou à l’oeuvre du diable.
Pour des milliers de gens en France en effet, la question du diable n’est pas « un combat d’arrière-garde ». Après mai 68, le rituel était tombé en désuétude, avec moins de dix exorcistes pour l’ensemble du pays. Mais la demande va croissante. Aujourd’hui, chaque diocèse – il y en a autant que de départements – en compte au moins un. Ils sont peu actifs dans des régions comme la Haute-Loire. Il en va autrement en Ile-de-France, où une équipe de treize personnes voit environ 2 000 consultants par an. A Lyon, le père Amet en a reçu plus de 2 000 entre 1997 et 2006.

On s’imagine trop souvent l’exorciste en « prêtre guerrier qui brandit son goupillon au-dessus d’une jeune fille très agitée » dit-il en souriant. « Mais c’est Jésus-Christ qui guérit. Le prêtre, ajoute-t-il,n’est pas un gladiateur, ni un médecin, ni un sorcier. Il prie, c’est son seul rôle. »
Pourtant, le Père Amet a bien quelque chose du guerrier pacifique. Solide comme un roc, il est ancré dans sa foi et dans une histoire familiale qu’il décrit à la fois paisible et structurante. Né en 1928 au Puy-en-Velay où il devient étudiant dans un pensionnat catholique, Henri Amet suit son inclination naturelle, encouragé par une famille unie. Son père est un modeste fabricant de dentelles. Ses deux frères seront préfet et général de gendarmerie, des fonctions qui comme celle d’exorciste, exigent qu’on sache faire preuve d’autorité.
Henri Amet aiguise cette compétence en dirigeant plusieurs établissements scolaires, à Vannes, Bordeaux puis Marseille, après avoir été ordonné prêtre en 1960. Une maladie cardiovasculaire et l’âge de la retraite l’obligent à interrompre cette carrière. Il est alors nommé à Lyon comme supérieur d’une communauté, et « trouve du travail » en s’agrégeant à une équipe de prêtres confesseurs. Il développe des qualités de conseiller spirituel qui lui valent de nombreuses amitiés.
Intéressé depuis toujours par la question du mal, « vieille comme l’humanité », il croit en l’existence du diable, « un être spirituel, perverti et pervertisseur » qui jouit d’une « liberté figée dans le mal » et influence les actions des hommes. Au risque d’être traité « d’arriéré », il pense que les histoires de sorcellerie ont une réalité sous-jacente, et qu’il y a une « complicité de personnes qui font du mal avec le diable ».
Alors certes, Henri Amet n’était « pas programmé pour être exorciste », d’autant que « ce n’est pas une charge qu’on brigue ». Mais lorsqu’à l’aube de ses 70 ans, il se voit proposer le poste par l’archevêque, il accepte sans hésiter. Charles Chossonery, seul exorciste du diocèse de Lyon avant sa nomination, sera son ami et aussi son mentor.

Une humanité malheureuse
L’exorciste est toujours un prêtre expérimenté, « c’est-à-dire un vieux ». Lorsqu’il pense qu’une personne est possédée, il pratique le rituel du grand exorcisme ou exorcisme majeur. L’ancien datait de 1614. Réformé en 1998, il a été publié en latin en 1999, puis en français en 2006. « Il ne s’agit pas d’un rite magique, mais d’une prière bien structurée », voie royale du désenvoûtement. Le prêtre prononce beaucoup plus souvent la prière de délivrance qui se trouve en annexe du livre. L’Eglise retient plusieurs critères pour identifier les cas de possession : la personne doit avoir une force herculéenne, parler des langues inconnues d’elle, prédire l’avenir et être capable de dire ce que pense l’exorciste. Autant de caractéristiques qu’on retrouve dans les films sur le sujet, depuisL’Exorcisme d’Emily Rose jusqu’au récent Rite.
Reste que les ingénues de 19 ans qui insultent les prêtres en araméen ne courent pas les rues. Bien sûr, les exorcistes racontent des histoires terrifiantes. Certains ont constaté des réactions violentes à l’eau bénite, d’autres affirment garder dans leurs tiroirs les clous rouillés crachés par les victimes. Le père Amet a assisté à des scènes au cours desquelles quatre hommes peinaient à contenir une femme. Mais pour lui, « le critère le plus authentique est l’aversion des gens qui avaient la foi et qui soudain, ne peuvent plus prier ».
Ces cas sont loins d’être la majorité. Avant d’être possédée, l’humanité qui se présente au cabinet du Père Amet est percluse de malheurs, population étrangère comme française, ouvriers, chômeurs, mais aussi avocats, scientifiques, psychologues, commerçants… La misère n’est pas seulement matérielle ou physique, elle est aussi spirituelle et morale. « Il n’y a que deux catégories socioprofessionnelles que je n’ai jamais reçues, résume le Père Amet : les médecins et les curés. »Les femmes forment le gros de la troupe des consultants « parce qu’elles osent plus parler d’elles »estime le prêtre. Paul, quarante ans, célibataire et cadre commercial, a perdu en deux ans son travail, son appartement et sa santé. Il est revenu chez ses parents, souffre d’un état dépressif et est persuadé qu’une amie jalouse l’a envoûté ; Josiane, camerounaise sans travail, sans mari, sans permis de séjour, va de foyer en foyer : « Je suis mal dans ma tête, dans ma peau, dans ma vie spirituelle… », écrit-elle.

Souvent, prendre le temps d’écouter sans juger, puis de réconforter, procure un soulagement suffisant. Une parole autoritaire peut dissiper les craintes de ceux qui se pensent à tort possédés. Mais quand vient le moment de la décision, « même si on est formé pour ça, on est seul » souligne l’exorciste. « Vous ne pouvez pas renvoyer la personne en disant : je ne sais pas, je ne peux rien faire. Même si vous lui conseillez de voir un psychiatre ou un psychologue – et nous avons des adresses – il faut tout de même s’engager et donner une parole libératrice. »
Schématiquement, les prêtres exorcistes se divisent en deux tendances : les « diabolisants » qui penchent plus volontiers en faveur de l’explication par la possession, les « psychologisants » qui rattachent les maux des consultants à l’expression de pathologies ou de traumatismes. « Il faut éviter les deux abîmes, tranche le père Amet, et savoir si le problème est davantage psychologique ou davantage spirituel. » Il dit se fier à un raisonnement éclairé par la prière pour établir une distinction entre, par exemple, un début de schizophrénie et un véritable problème spirituel. Lorsqu’il était exorciste « officiel », jusqu’en 2006, le Père Amet se rendait tous les deux mois à une rencontre avec des psychiatres pour discuter des cas. Un professeur de médecine à Lyon lui dit un jour : « Les cas que les exorcistes m’amènent, je n’en ai jamais vu de tels. Il semble que nous, psychiatres, n’atteignons pas ce domaine.» Pas toujours facile, la collaboration avec les psychiatres et les psychologues est selon le prêtre indispensable.

L’esprit de discernement
D’autant qu’en matière de possession, l’habit ne fait pas le moine. L’exemple d’Amélie, 30 ans, est éloquent. Elle se présente accompagnée de deux prêtres de sa paroisse et de sa sœur. Tous les trois sont convaincus que la jeune femme est possédée. Lorsque le père Amet leur propose de prier ensemble, Amélie se met à hurler, et à s’agiter à tel point qu’il faut la tenir. « A ce moment-là, j’ai une intuition, se souvient le Père Amet : inconsciemment, elle se donne en spectacle. » Un suivi psychologique réglera le problème.
Avec Anna, c’est une autre histoire. La jeune fille se trouve dans un hôpital psychiatrique lorsque deux de ses amis viennent trouver Henri Amet. Ils sont inquiets. Anna est très déprimée, a des tics, se taillade les veines. Lorsqu’à l’hôpital, il lui propose une prière de délivrance, elle accepte avec beaucoup de scepticisme. Elle nous affirme pourtant avoir ressenti un changement, une amélioration, même si elle a eu encore bien « des moments pénibles par la suite » selon le père Amet. Aujourd’hui, elle s’apprête à prendre le voile. De l’hôpital psychiatrique au couvent, la trajectoire peut prêter à discussion. Mais Anna la vit comme une réalisation. Pourquoi l’exorciste lui a-t-il proposé la prière de délivrance, alors qu’elle-même ne se pensait pas possédée ? Un esprit est intervenu, « l’esprit de discernement » cher à l’exorciste.
C’est ce même esprit qui l’incite à utiliser avec parcimonie l’exorcisme majeur, moins d’une trentaine de fois au cours de sa carrière. Il a pratiqué un tel rituel à la demande de Fabien, le consultant qui avait fait un pacte avec le diable afin de se débarrasser de ses parents. « Il y avait une vraie coopération de sa part et je pense que ça a réussi » dit le père Amet. D’autres fois, c’est l’échec. Mathilde, chef d’entreprise d’une quarantaine d’années, souffre de troubles psychiques après avoir pratiqué une technique orientale énergétique. Cinq ans après l’exorcisme solennel, elle lui écrit de l’hôpital psychiatrique où elle est internée. Rien n’a changé pour elle, elle est au plus mal.

Décrié, le ministère d’exorciste est parfois frustrant, car le prêtre sait rarement si ses efforts ont porté leurs fruits. Les consultants ne donnent pas toujours de nouvelles. L’expérience reste souvent subjective, à jamais prisonnière de l’intime conviction des envoûtés, psychotiques, schizophrènes, et des gens égarés dans leurs peurs, au détour d’une expérience ou parce que le malheur les frappe. Mais pour le père Amet, l’essentiel est ailleurs, dans le réconfort prodigué à ceux qui se pensent oubliés du monde et de Dieu. « Etre exorciste m’a forcé à être toujours droit dans ma foi, dans mes convictions, dit-il, ce fut pour moi un ministère de la miséricorde. »
INREES

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