Un jour, j’irai vivre en Théorie parce qu’il paraît qu’en Théorie, tout va bien. (Les mots surpendus)

mardi 8 avril 2014

Très chère Pauline,

Pauline Marois a rencontré l'équipe éditoriale du Devoir jeudi dernier.

La politique est ingrate. Ça, tu le savais. Tu l’avais vécu. Plusieurs fois. Tu t’étais relevée. Plusieurs fois. Tu nous avais, tous, relevés. Et depuis 18 mois, c’est tout le Québec que tu as relevé, le sortant des marais de la collusion, de l’immobilisme, de la résignation. Tu n’en a pas été récompensée. Loin s’en faut. Mais nous savons tout ce que tu as réparé, tout ce que tu as fait, tout ce que tu as mis en branle.

Nous savons, et nous le dirons sans relâche, combien ta compétence et ton énergie ont été notre boussole pendant ces 18 mois. Combien ta bonne humeur, ton écoute et ton esprit de décision nous ont servi de modèle, pendant ces 18 mois — et à l’avenir pour notre vie entière.

La politique est ingrate et, hier soir, elle t’a montré la sortie. Tu l’a prise avec élégance, avec sérénité, en évoquant l’histoire du Québec, la résilience, la durée. Des qualités québécoises que tu incarnes de la tête aux pieds.

Pauline, l’électorat a été dur, hier. Dur surtout envers notre grand rêve d’un pays à faire. Dur comme une troisième défaite référendaire. Dur comme un autre Non.

Les Québécois n’ont sanctionné ni le combat que tu as mené pour la langue française, ni celui d’un État plus laïque, ni celui de faire du Québec un modèle de transports électriques, ni ton choix de sortir le Québec du nucléaire, de l’amiante, des petites centrales, du gaz de schiste, ni celui de chercher à savoir si nous avions du pétrole exploitable, ni celui de la souveraineté alimentaire. Ils ne t’ont pas reproché tes réformes pour l’intégrité des contrats publics, la moralisation du financement des partis, la liberté donnée aux policiers d’arrêter les maires corrompus.

Les Québécois ne t’en ont pas voulu, hier, d’avoir naguère inventé puis, ces 18 derniers mois, d’avoir complété le réseau de service de garde le plus envié d’Amérique du Nord, ni d’avoir introduit les maternelles 4 ans pour les démunis, ou prévu une augmentation historique du financement des groupes communautaires. Ils ne t’ont pas reproché d’avoir introduit une politique sur l’itinérance, d’avoir concentré les budgets de la santé pour les soins à domicile, d’avoir fait reculer, l’an dernier, du tiers le chômage chez les immigrants, d’avoir adopté des politiques économies applaudies par le patronat comme par les syndicats, d’avoir ramené la paix sur les chantiers de construction, d’avoir doublé les investissements étrangers à Montréal l’an dernier, d’avoir signé des ententes fructueuses et pragmatiques avec les premières nations que tu rencontrais avec franchise et respect.

Non. Rien de tout ça ne t’a été reproché hier.

Alors de quoi t’en ont-ils voulu ? De vouloir t’inscrire dans le combat des Lévesque, Parizeau, Bouchard et Landry. De vouloir, de tout de ton coeur et de tout ton cerveau et de toutes tes tripes, donner aux Québécois un pays.

Même pas, en fait. Tu as perdu parce que tu voulais laisser entrouverte la possibilité d’offrir aux Québécois le choix, si un jour ils le voulaient, de se donner un pays.

Fermer cette porte à double tour était plus important pour un plus grand nombre de Québécois que toute autre considération. Fermer cette porte valait tous les autres risques incarnés par le Parti Libéral.

Alors, Pauline, tu vois, tu n’as rien à te reprocher. On pourra pinailler sur telle ou telle décision tactique, c’est sûr.

Mais sur le fond, sur la trame, sur l’essentiel, tu t’es tenue debout, avec tes convictions. Tu t’es présentée telle que tu es, authentique, vraie et — oui — déterminée.

Gilles Vigneault le disait au lendemain du référendum de 1980: « Nous n’étions pas assez nombreux à penser comme moi ».

Hier, ma très chère Pauline, les Québécois n’étaient pas assez nombreux à penser comme toi. À penser comme nous.

Alors tu peux prendre tes quartiers de printemps avec le sentiment — non, pas le sentiment, la certitude — du devoir accompli. De la fidélité à tes convictions. Tu laisses derrière toi une équipe formidable. Trente députés que tu as choisis et qui t’ont choisie. Une base militante que tu as reformée et ressoudée. Malgré la défaite: le plus grand parti au Québec avec 90 000 membres et un financement populaire inégalé.

Il y a du ressort, dans cette défaite. Le ressort que tu as mis en nous. Il y aura beaucoup d’introspection à faire, dans les semaines et les mois qui viennent. Il y aura du découragement, des débats, des mauvaises humeurs. Puis le sens des recommencements, des consensus, des choix, de l’action.

Ce ne sera pas facile. Mais si nous avons le centième de ta sagesse et de ton courage, nous franchirons ces étapes en nous nourrissant de l’exemple que tu nous as donné toute ta vie durant.

Repose-toi, Pauline. Très chère Pauline. Tu l’as bien mérité. Nous t’emportons avec nous, tu fais partie de nous, dès maintenant et pour très longtemps.

Merci d’être ce que tu es. Merci tout court.
Au nom de tous ceux qui t’admirent et t’aiment,
Jean-François
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