Un jour, j’irai vivre en Théorie parce qu’il paraît qu’en Théorie, tout va bien. (Les mots surpendus)

jeudi 10 novembre 2011

Ça chauffe à Harvard !




A la prestigieuse université Harvard, le cours de Gregory Mankiw accueille environ 700 étudiants chaque année. Il s’agit de leur enseigner les “principes de l’économie”. Ce cours présente toutes les caractéristiques de l’endoctrinement néo-libéral actuel : refus du pluralisme, présentation de l’économie comme science unifiée, apologie du marché, critique systématique de l’Etat, intérêt mineur pour les inégalités ou l’environnement… Contesté régulièrement, ce cours vient de faire l’objet d’une sérieuse remise en cause par une minorité d’étudiants consternés par l’enseignement qui leur est proposé (ou imposé ?)

Ainsi que le raconte The Crimson, le journal des étudiants de Harvard, mercredi 2 novembre, 70 étudiants ont quitté le cours de Mankiw, dénonçant son “biais conservateur”.

Les étudiants souhaitaient ainsi exprimer leur solidarité avec les mouvements “Occupy Wall Street”, qui dénoncent la hausse des inégalités aux Etats-Unis.

Les organisateurs se sont adressés à Gregory Mankiw dans les termes suivants : “Aujourd’hui, nous sortons de votre cours, “Economics 10″, afin d’exprimer notre mécontentement envers le biais conservateur de ce cours d’introduction à l’économie. Nous sommes très préoccupés de la façon dont cet enseignement affecte les étudiants, l’université et la société dans son ensemble”.

Selon l’une des organisatrices, Rachel J. Sandalow-Ash, “Les diplômés de Harvard ont été complices des pires injustices commises ces dernières années. Aujourd’hui, nous remettons en cause ce passé. Les étudiants de Harvard ne feront plus cela. Nous mettrons notre éducation au service du bien, pas de l’enrichissement personnel au détriment de millions de personnes.”

Pour Gabriel H. Bayard, un autre membre du mouvement, “Ec 10 est un symbole de l’idéologie économique qui est à l’origine de l’effondrement de 2008. Le professeur Mankiw a travaillé dans l’administration de George W. Bush [il en a été son conseiller économique en chef], et il a clairement une idéologie conservatrice. Ses vues conservatrices, celles de l’argent facile et de l’attention portée aux plus riches des Américains, sont précisément de celles qui ont conduit à la crise en 2008.

Pour Sandalow-Ash, “ce cours est très endoctrinant, et il n’encourage pas la diversité d’opinions. Les questions économiques n’appellent pas de réponse tranchée. Différents points de vue devraient être présentés dans le cours”.

Pour d’autres au contraire, les motivations des protestataires ne sont pas claires. Ainsi, pour Mark S. Krass, “Ceux d’entre nous qui soutiennent le mouvement ‘Occupons Wall Street’ font tout ce qu’ils peuvent pour combattre l’idée selon laquelle le mouvement serait guidé par une idéologie. Il est triste de voir des étudiants appeler à quitter le cours ‘Economics 10′ parce qu’ils estiment que les manuels sont trop chers et que l’enseignement est de piètre qualité.”

Au contraire, les étudiants protestataires regrettent la faible possibilité qui leur est donnée d’exprimer leurs questions à l’égard des matériaux de cours. Ainsi Alexandra E. Foote, l’une des étudiantes protestataires, indique : “J’ai annoté mon manuel avec des points d’interrogation, mais nous n’avons pas vraiment la possibilité de questionner ce que Mankiw avance lors des séances de travaux dirigés. Je ne connais pas grand-chose à la science économique, et je trouve injuste de n’en avoir qu’une présentation biaisée”.

Greg Mankiw a relayé sur son blog les principaux éléments de la controverse. Il a également posté un lien vers l’entretien qu’il a donné à la National Public Radio, l’équivalent de France Inter aux Etats-Unis.

Après avoir enseigné pendant deux ans pour Gregory Mankiw en tant que chargé de TD, j’avais pour ma part rédigé un texte critiquant son enseignement, intitulé Economic Endoctrination.

Greg Mankiw avait répondu à cette critique. Extraits :
(…) Un ami a récemment attiré mon attention sur un article intitulé “Endoctrinement économique” (…). L’auteur, l’un des co-fondateurs du mouvement “économie post-autiste” [voir le site français], essaie de présenter mon livre comme étant de la propagande conservatrice.
Ce n’est pas la première fois que l’on reproche à mon manuel d’être biaisé. Lorsque le Président Bush m’a nommé directeur du Conseil d’Analyse Economique, certains élus de droite se sont opposés à ma nomination, estimant que mon manuel était trop keynésien et insuffisamment favorable à leurs vues en faveur de l’économie de l’offre (supply-side views). Je suppose que la symétrie des attaques suggère que ma présentation des choses est à peu près correcte (I am getting things about right).
Lorsque j’enseigne l’introduction à l’économie, en classe ou dans mon manuel, je me pense comme étant un ambassadeur de la profession des économistes. J’essaie de représenter le consensus des économistes (the economic mainstream), et non pas mes propres opinions politiques. Certains étudiants peuvent estimer que le consensus des économistes est de centre-droit. Ce jugement est probablement correct, du moins si on l’établit à partir de l’univers des professeurs d’université. Mais le but d’un cours d’introduction à l’économie est de présenter, aussi honnêtement que possible, le consensus de la profession. Si, en moyenne, les économistes sont plus favorables au marché (market-friendly) que les professeurs de littérature, alors ce point de vue se retrouvera dans les manuels les plus lus.
J’ai été par-dessus tout surpris de constater que l’auteur de cette critique avait fait partie de l’armée de chargés de TD que je supervise pour le cours “Economics 10″ [nous étions environ 40]. Je regrette qu’il ne soit pas venu me présenter ses vues lorsqu’il participait à cet enseignement. Je suis intrigué depuis longtemps par le “post-autistic economics movement“. Une conversation sur ce sujet aurait été très éclairante pour lui comme pour moi. 

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