Un jour, j’irai vivre en Théorie parce qu’il paraît qu’en Théorie, tout va bien. (Les mots surpendus)

jeudi 8 décembre 2011

Une Amérique plus intégrée que jamais


Partage accru de renseignements personnels entre Ottawa et Washington
Le premier ministre canadien et le président américain ont multiplié les politesses hier, s’adressant la parole à coups de «Stephen» et de «Barack».
Le premier ministre canadien et le président américain ont multiplié les politesses hier, s’adressant la parole à coups de «Stephen» et de «Barack».<br />
Ottawa — Le premier ministre Stephen Harper et le président américain, Barack Obama, ont signé hier à Washington deux importantes ententes visant à faciliter les échanges commerciaux et à combattre conjointement la menace — terroriste ou migratoire. Tout cela se fera par l'entremise de l'harmonisation, maître mot des deux documents dévoilés à Washington: harmonisation de la réglementation dans une foule de secteurs d'activité, uniformisation des services policiers et échange accru d'informations personnelles entre les deux pays.

Le premier volet de cette annonce consiste en un Plan d'action sur la sécurité du périmètre et la compétitivité économique. Il s'agit de rendre plus fluide la circulation des biens et des personnes en se dotant de contrôles communs. Par exemple, des projets-pilotes seront lancés l'an prochain à Montréal et Prince-Rupert, par lesquels la vérification des cargaisons arrivant d'outre-mer dans le premier port d'entrée en Amérique du Nord permettra d'éliminer les vérifications subséquentes, ou presque. Autre exemple, on étendra à la terre ferme une initiative existant déjà sur les cours d'eau frontaliers (appelée «Shiprider») par laquelle les forces policières américaines et canadiennes patrouillent à la frontière avec la possibilité de passer d'un côté ou de l'autre. Si le projet-pilote est concluant, il sera étendu dès l'été 2012.

Il s'agit aussi de faciliter le déplacement des voyageurs en permettant que les contrôles de bagages effectués au Canada lors d'un vol vers les États-Unis soient valides pour la correspondance subséquente en territoire américain. Le gouvernement estime qu'une telle mesure réduira les risques de perte de bagages et de vols ratés. Un système de contrôle des sorties du Canada sera mis en place de manière à permettre aux autorités canadiennes de savoir qui sort du territoire et pour combien de temps. De plus, Ottawa imitera les États-Unis en vérifiant désormais avant le décollage d'un vol à destination du Canada si les passagers ont le droit de venir. On ignore quels critères le Canada utilisera pour interdire la venue d'un individu: seulement les normes canadiennes déjà existantes ou aussi les diverses listes d'indésirables dressées par les États-Unis?

L'envers de cette médaille est que le tout débouchera sur un partage accru de renseignements personnels entre les deux pays. Washington se retrouvera en possession d'informations sur des citoyens canadiens. Comment ces informations seront-elles conservées, utilisées, partagées subséquemment avec de tiers pays? Cela reste à négocier d'ici mai 2012.

Les fonctionnaires déployés en grand nombre pour expliquer l'entente aux journalistes n'avaient pas beaucoup de détails sur cet aspect. Comment, par exemple, le Canada pourra-t-il s'assurer que d'autres cas comme celui du Canadien Maher Arar, expulsé par les États-Unis vers la Syrie sur la foi d'informations que Washington a toujours refusé de dévoiler, ne se reproduisent pas? On l'ignore. On parle seulement du fait que des «garanties» seront échangées lors des négociations et que deux principes directeurs seront respectés: chaque pays s'engage à respecter le droit souverain de l'autre d'agir de manière indépendante, ensuite les deux acceptent que le respect des droits de la personne, de la protection des renseignements personnels et des libertés civiles soit «essentiel».

C'est cet aspect que les groupes de défense des droits civils ont le plus critiqué. La présidente du Conseil des Canadiens, Maude Barlow, a rejeté les accords d'hier au motif qu'elles ne sont «qu'un prétexte pour permettre au Homeland Security américain d'établir la plupart des normes de partage d'information, d'utilisation des listes d'interdiction de vol et de patrouille conjointe des frontières».

Une affaire de pesticides

Le second plan d'action intergouvernemental signé hier porte sur la coopération en matière de réglementation. Il s'agit cette fois de réduire les obstacles au commerce en tentant d'implanter des règles identiques dans les deux pays dans 29 secteurs prioritaires, dont l'agriculture et l'alimentation, les produits de soins personnels et les produits chimiques.

Les fabricants se plaignent souvent que les différences de réglementation entre les deux pays les obligent à produire (à grands frais) deux séries de biens pour chacun des marchés. Par exemple, les noms des coupes de viande ne sont pas les mêmes des deux côtés de la frontière. Idem pour les pesticides, dont les résidus sur les fruits et légumes sont en général tolérés en moins grande quantité au Canada qu'aux États-Unis. L'uniformisation servira-t-elle à rehausser les critères ou à les abaisser? Impossible de le savoir. Le tout sera négocié, répète-t-on, dans l'intérêt canadien.

Cet élément est un relent du feu Partenariat sur la sécurité et la prospérité qui incluait à l'époque le Mexique. À l'été 2007, déjà, on s'inquiétait que les normes canadiennes en matière de résidus de pesticides soient revues à la baisse. Au sommet des trois dirigeants tenu à Montebello, promesse avait été faite d'informer régulièrement les citoyens sur l'avancement de ces négociations. Un an plus tard, Le Devoir avait révélé que le comité de suivi n'avait jamais été créé. Depuis, cette initiative à trois s'est «essoufflée» et l'accord bilatéral d'hier s'en veut la résurrection moins ambitieuse parce que plus ciblée.

Le Conseil États-Unis-Canada de coopération en matière de réglementation (CCR) qui découle de cette entente se réunira quatre fois l'an. Deux fois par année, il devra aussi inviter les intervenants du milieu. Les résultats devront être rendus publics, indiquent les documents. Le Conseil des Canadiens n'accorde aucun poids à cette promesse, notant que lors de la séance d'information destinée aux médias hier, seuls les groupes en accord avec le gouvernement ont été invités à l'événement.

«Certains jours, les gouvernements font les choses correctement, et aujourd'hui est l'un de ces jours», s'est réjoui Perrin Beatty, président de la Chambre de commerce du Canada. «Noël arrive tôt cette année pour tous les Canadiens.» L'ex-ministre et actuel président du Conseil canadien des chefs d'entreprise, John Manley, a écarté pour sa part les préoccupations quant à la perte de souveraineté du Canada. «La souveraineté absolue n'existe plus dans le monde aujourd'hui. Tous les traités sont le fruit de compromis sur la souveraineté», a-t-il dit.

Le premier ministre Stephen Harper était heureux d'annoncer la signature de ces deux ententes. «Ils représentent le plus important pas en avant dans la coopération entre le Canada et les États-Unis depuis l'Accord de libre-échange nord-américain.» Le président s'est dit «certain qu'elles seront mises en oeuvre diligemment». Les deux hommes ont multiplié les politesses, s'adressant la parole à coups de «Stephen» et de «Barack».

Notons que le Conseil des Canadiens évoque, dans sa critique, que l'entente sur la réglementation fera en sorte que le Canada ne testera plus les pesticides et s'en remettra seulement aux approbations américaines. Les fonctionnaires assurent qu'il n'en sera rien. Il s'agit plutôt d'harmoniser les informations réclamées par les autorités réglementaires pour l'approbation d'un produit de manière à ce qu'un fabricant n'ait qu'une seule demande à déposer pour les deux pays. Mais chaque pays décidera indépendamment par la suite s'il accepte ou non le médicament.

Le NPD s'inquiète de cette entente, tandis que le chef libéral Bob Rae ne voit rien de révolutionnaire dans cette série «de projets-pilotes». 

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