Un jour, j’irai vivre en Théorie parce qu’il paraît qu’en Théorie, tout va bien. (Les mots surpendus)

lundi 4 avril 2016

Foi et science: l’impossible alliance


source:Actualité

C’est pour se donner une crédibilité nouvelle que la religion cherche tant à se rapprocher de la science, dit l’historien des sciences Yves Gingras. Mais le mariage est impossible, prévient-il.
4 Avr. 2016 par Yanick Villedieu 0

Galilée affirmait que la Terre n’était pas le centre de l’Univers et qu’elle tournait autour du Soleil, et non l’inverse, ce qui lui a valu d’être condamné par l’Église. (Image: Deagostini/Getty Images)

Livres, colloques, revues spécialisées, fonds de recherche et bourses richement dotées : les appels au rapprochement entre science et religion sont devenus « une industrie », s’insurge l’historien des sciences Yves Gingras dans son dernier livre, L’impossible dialogue : Sciences et religions (Boréal et Presses universitaires de France).

Pourtant, montre-t-il dans cet ouvrage solidement documenté, les conflits entre science et religion sont « indéniables ». La condamnation de Galilée par l’Église, en 1633, en est l’exemple emblématique : avec d’autres savants, le physicien italien affirmait que la Terre n’est pas le centre du monde et que c’est elle qui tourne autour du Soleil, pas l’inverse. Mais cet exemple est loin d’être le seul. Et il n’y a pas que les catholiques pour remettre en cause, encore aujourd’hui, certaines explications scientifiques de la nature.

L’actualité a rencontré Yves Gingras à l’Université du Québec à Montréal, où il est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en histoire et sociologie des sciences.
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L’Église a condamné Galilée, mais c’était il y a près de 400 ans. Et elle l’a réhabilité en 1992. Pourquoi continuez-vous à parler d’un « impossible dialogue » ?
Parce qu’un dialogue présuppose qu’on échange sur les mêmes phénomènes. Or, à l’époque de Galilée comme à la nôtre, la science et la religion ont deux objets d’étude complètement différents. La théologie, c’est l’étude rationnelle de Dieu, qui est surnaturel. La science, c’est l’étude rationnelle de la nature. Elle dit les faits, par exemple que l’homme est un descendant d’un autre mammi­fère. Si la religion reconnaît ces faits — que l’homme n’a pas été créé tel quel par Dieu —, elle passe d’une lecture littérale des livres à une lecture métaphorique. Mais il n’y a pas eu dialogue pour autant. Si la religion dit qu’on ne peut pas étudier la nature sans tenir compte de Dieu, il n’y a pas non plus de dialogue. Ce sont deux ordres de choses.

Une opinion répandue chez les historiens des sciences veut qu’on ait exagéré, même inventé, le conflit entre science et religion. Vous prétendez exactement le contraire…

Il existe un courant, essentiellement en milieu anglo-saxon, qui prône un discours, disons, œcuménique. Selon ces historiens, qui appartiennent souvent eux-mêmes à des groupes religieux, il faut cesser de dire qu’il y a opposition entre science et religion, et plutôt parler de dialogue, de conversation. Mais ils laissent de côté tout ce qui ne fait pas leur affaire. Par exemple, que l’Église a mis des livres scientifiques à l’Index pas seulement au temps de Galilée. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, l’Index en avait contre l’astronomie. Aux XIXe et XXe, contre le matérialisme et l’évolutionnisme. Au Québec, dans les années 1910, le médecin Albert Laurendeau, qui défen­dait les idées de Darwin, a dû se plier à l’interdit de l’évêque de Joliette, Mgr Archambault, qui le menaçait d’excommunication. En 1950, Pie XII a dit ne pas interdire les discussions sur l’évo­lution mais, poursuivait-il, « à la condi­tion que tous soient prêts à se soumettre au jugement de l’Église ». Ce conflit est tellement présent, depuis 400 ans, que j’ai consacré un chapitre entier de mon livre à « la science censurée » par les institutions religieuses. Le rôle de l’historien, ce n’est pas de faire de la morale, c’est de rappeler des faits.

«On peut avoir des croyances religieuses personnelles et, par ailleurs, faire de la vraie science. Il faut distinguer l’individu croyant de l’institution scientifique», dit Yves Gingras. (Photo: Émilie Tournevache/UQAM)

Au fil des siècles, Dieu est passé « du centre à la périphérie des sciences ». Vous dites même qu’il y a eu « divorce ». Le mot n’est-il pas trop fort ?
Il est exact. Ceux qui veulent faire un remariage tentent un coup de force. La science est ce qu’elle est parce qu’elle est devenue autonome. Après avoir bloqué l’astronomie, la théologie a essayé de bloquer la géologie, quand Charles Lyell a dit, au début du XIXe siècle, que la Terre avait plusieurs millions d’années, et non pas 6 000 ans.

Ce divorce, c’est d’avec toutes les religions ?
La science moderne est née au XVIIe siècle dans le monde chrétien. Il est normal que ce soit là que le conflit se soit déclaré et développé. Mais à partir des années 1980, avec la remontée des fondamentalismes, on voit la même chose dans la religion juive, dans l’islam et chez les évangélistes chrétiens. Dans les religions monothéistes fondées sur un livre, Bible, Coran ou Torah, il est toujours possible d’en faire une lecture littérale, ce que font, dans les trois cas, des minorités fondamentalistes parfois très actives.

La remise en question de la science ne se fait plus par l’Inquisition, mais par des groupes de pression. Aux États-Unis, les créationnistes s’oppo­sent depuis un siècle à l’enseignement de l’évolution dans les écoles. Je cite une prof de physique en pays musulman qui se faisait dire encore récemment par des étudiants que la vitesse de la lumière est infinie parce que c’est écrit dans le Coran, alors que cette vitesse est une constante et qu’elle est de 300 000 km par seconde, pas plus.

Comment expliquer la montée de cet « œcuménisme », de ces tentatives de rapprochement ?
D’abord, par la volonté de l’Église catholique et de Jean-Paul II, élu pape en 1978. Dès l’année suivante, il affirme qu’on croyait que le catholicisme est opposé à la science, mais qu’il n’en est rien. Selon lui, il faut régler le cas de Galilée pour rétablir un véritable esprit de dialogue. Il relance donc le procès de Galilée et le réhabilitera en 1992, pour le 350e anniversaire de son décès.

Un autre élément d’explication est la fondation John Templeton, créée en 1987 par le milliardaire américain du même nom. La lubie de ce fondamentaliste chrétien, c’est que la science doit être au service de la spiritualité. Il a donc donné des millions à ceux qui disent qu’il peut y avoir dialogue, notamment en finançant la publication de plusieurs livres sur le sujet. Il a aussi fondé un prix doté d’une bourse supérieure à celle du prix Nobel [environ 1,5 million de dollars américains, contre moins de 1 million pour le Nobel 2015]. Mais quand on lit les textes de la fondation, on voit bien que c’est un dialogue de sourds. Le journaliste scientifique John Horgan est allé observer les réunions de la fondation et n’y a vu aucun dialogue. Les scientifiques présents lui ont dit vouloir être polis avec les gens qui les avaient invités. Qu’ils n’allaient donc pas leur dire, par exemple, qu’il n’y a aucun rapport entre la cosmologie et la création de l’Univers par Dieu. La fondation Templeton dit distribuer 60 millions de dollars par an. Si la foi déplace les montagnes, l’argent le fait encore plus facilement.

Pourquoi la religion cherche-t-elle tant à se rapprocher de la science ?
Pour se donner une crédibilité nouvelle. Aujour­d’hui, la science occupe une place prédomi­nante dans l’espace public, son image est forte. Dire que foi et science ne s’opposent pas, c’est inférer qu’il est rationnel de croire en Dieu, ce qui n’est pas défendable du point de vue de la logique. Le mot clé, c’est concordisme : cette approche veut démontrer que les textes sacrés concordent avec les connaissances scientifiques. Pour les concordistes musulmans, toute la science moderne est déjà dans le Coran. Pour le pape Pie XII, le big bang concordait avec la façon dont la Bible décrit la création du monde dans un fiat lux, que la lumière soit.

Comme si la religion voulait profiter de l’aura de la science ?
C’est ce que fait la fondation Templeton, entre autres avec son fameux prix. Le philosophe de McGill Charles Taylor [celui de la commission Bouchard-Taylor], expert en philosophie politique mais pas vraiment en histoire des sciences, a reçu le prix Templeton en 2007. Il a alors déclaré que le divorce de la science et de la religion avait causé du tort aux deux — sans toutefois donner un seul exemple du tort causé à la science, tout simplement parce qu’il n’y en a pas. Mais la fondation a utilisé la crédibilité de Charles Taylor pour donner du poids à son concordisme. Chose curieuse, dès 1926, le frère Marie-Victorin avait écrit précisément le contraire : « À toutes les époques, les tentations concordistes ont nui à la religion aussi bien qu’à la science elle-même. »

Vous êtes un admirateur de cette grande figure de la science que fut Marie-Victorin. Or, il était… un frère des Écoles chrétiennes. N’est-il pas la preuve que science et religion ne s’opposent pas ?
Non, il est plutôt la preuve qu’on peut avoir des croyances religieuses personnelles et, par ailleurs, faire de la vraie science. Je le cite dès la première page de mon livre : « Il faut laisser la science et la religion s’en aller par des chemins parallèles vers leurs buts propres », sans chercher à tout prix « l’harmonie » entre les découvertes scientifiques et les croyances religieuses. En fait, c’est de la confusion intellectuelle que de mêler les deux. Il faut distinguer l’individu croyant de l’institution scientifique. On peut être croyant et ne jamais invoquer Dieu dans une explication scientifique.

Contre la montée du religieux et de l’irrationnel, vous faites « le pari de la raison »…
Thomas Huxley, surnommé « le bouledogue de Darwin » parce qu’il a défendu vigoureusement ses idées après son décès, a inventé le mot « agnostique » au milieu du XIXe siècle. L’agnostique ne peut se prononcer ni sur l’existence ni sur l’inexistence de Dieu. La science n’est pas athée ou déiste, elle est agnostique. Elle est le fruit de la raison. Quand on voit, dans certaines communautés fondamentalistes américaines qui refusent les vaccins, des taux de mortalité infantile supérieurs à ceux de certains pays pauvres, on doit faire prévaloir la raison et la science. Bien sûr que celle-ci peut être critiquée, pour la bombe atomique ou pour la pollution. Mais ce n’est pas moins de science qui réglera les problèmes sociaux, économiques et environnementaux. C’est plus de science, plus de raison.

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