Un jour, j’irai vivre en Théorie parce qu’il paraît qu’en Théorie, tout va bien. (Les mots surpendus)

mercredi 16 novembre 2016

Évangéline: la fille à Elly, à Aldéric, à Aimée, à Minic

Voici un texte merveilleux que ma soeur Denyse a publié un peu avant la mort de ma mère.

                                           


Dis bien haut, ma mère, la beauté et les fois où ta mémoire vient se fracasser sur le rocher des âges.

« Je suis Évangéline à Elly, à Aldéric, à Aimée, à Minic. Je suis une immigrée. Oui, je suis née au Cap en face de chez Azade à Ilda, à Marie, à Vilbon. J'ai émigré au Havre-Aubert au ras de chez Cyril à Marie-Louise.
 
De bonne heure le matin ma mère me huchait :
— Envoin la baîlle et pars le butin sur la ligne.
Puis quand y avait apparence de vent d'ouesse, y fallait tout dépende le butin.
— Tu furbiras aussi le poêle avec la mine de plomb et les ustensiles avec d'la terre blanche et d'la cendre. Balie la place, lave les plats et envoin la baratte et le babeure. Pis va charrier l'eau à la beurroir et charpis la devesure.


Tous les printemps y fallait balier le raclôt avec le balai de varnes parce que ma mère
disait que les gens d'en dehors allaient atterrir. De son bord, elle brassait des torteaux, des doux et des pas doux qu'elle nichait dans une terrine de faïence. Mon père, lui, y cachait son flocon de chien dans le sailboard. Pis y avait tout un tintamarre dans le tambour.
— Tu vas en manger toute une gratte si te souque ! disait-il au premier qu'il rencontrait.

Ma grand-mère, elle, savait toutes les maladies. Avec son flocon de tamzi, elle faisait le canton. Et quand c'était des cas de difficulté, mon père allait mener le docteur dans sa box, pis quand y faisait un stamp, y perdait les balises.


Le soir, ma mère me huchait encore.
— Fais des faillôts, des beurredouilles et des confitures aux moconques pour toute la ramée.
Enfin pour nous reposer, assis sur la boîte à bois avec notre cavalier, on brochait des caleçons et des mitaines de cage avec la devesure qu'on avait écardée.
»


Propos de maman recueillis au début des années 2000


La maison de mes grands-parents, à Havre-Aubert, Iles de la Madeleine

PETIT LEXIQUE (approximatif)

raclôt -
un pré humide à proximité de la maison
me huchait - m'interpellait
envoin la baîlle - préparer la cuve (demi-baril de bois)
butin sur la ligne - la lessive sur la corde
dépende le butin -
rentrer la lessive
furbiras -
nettoyer et polir
charpis la devesure - écarder la vieille laine
balai de varnes - balai fabriqué à l'aide de petites branches
torteaux - grosses galettes faites de farine blanche et de mélasse
flocon de chien - flacon de boisson (résidu de bière de riz)
sailboard - vaisselier
une gratte - une taloche
si je te souque - si je t'attrape
tamzi -
remède à base d'herbages, tisane
box -
petite carriole (horse-box)
stamp - tempête (de neige)
y perdait les balises - il ne voyait plus son chemin
faillôts – fèves au lard
beurredouilles - pâtes cuites dans la mélasse
pour toute la ramée -
pour toute la famille
brochait -
tricotait

Aucun commentaire: