Yan Barcelo, 14 août 2011
Aujourd’hui, la première édition d’un produit coûte extrêmement cher à réaliser alors que le coût des copies est presque négligeable. La chose est particulièrement vraie dans l’industrie pharmaceutique où le développement d’un médicament s’échelonne sur dix ans et coûte en moyenne 750 millions de dollars tandis que les pilules ne coûtent que des fractions de sous à fabriquer. La même logique prévaut dans l’élaboration de logiciels ou de banques de données, dans la production de films et de musique, dans l’établissement d’un commerce sur Internet, dans le mise en orbite de satellites et autres engins spatiaux.
Cette prépondérance de la connaissance n’est plus seulement l’apanage des industries de pointe. Elle gagne de plus en plus toutes les couches économiques, jusqu’aux plus primaires, que ce soit dans la fabrication de meubles et même dans le secteur minier.
En même temps que les coûts de conception et de développement explosent, et que les coûts de reproduction implosent, on assiste à l’inflation d’une autre sphère d’activité économique, basée elle aussi sur les concepts et la connaissance : le marketing et la publicité.
Cette polarisation économique croissante entre la conception technique et la conception commerciale fait en sorte que certaines entreprises s’éviscèrent de plus en plus de toute activité manufacturière, la délocalisant en Asie. Un nombre croissant d’entreprises ne sont plus que des boîtes d’idéation, pourrait-on dire, dont la spécialité est de comprendre les besoins des clients et, à partir de cette compréhension, de concevoir les produits qui y correspondent, et d’imaginer les moyens de les vendre. C’est ce qui est advenu de Nortel, par exemple, avant qu’elle n’en arrive à imploser à cause de son adhésion à l’hérésie de la « valeur aux investisseurs ».
Cette ascendance graduelle de la primauté du conceptuel entraîne la remise en valeur du domaine de la propriété intellectuelle et de ses sceaux officiels de légitimation : les brevets, marques de commerce et droits d’auteur. Le phénomène prend l’allure d’une ruée. Au bureau américain des brevets, l’année2000 avu l’octroi de 190 000 brevets, presque trois fois plus que les 70 000 octrois de 1980. Le nombre d’applications pour brevets, pour sa part, est passé de 110 000 à 320 000 durant la même période.
Une première raison de cette ruée tient à un impératif fondamental de la lutte pour la survie économique : se protéger. C’est la fonction qu’on a toujours attribuée à l’obtention du brevet.Étant donné que tout l’investissement est maintenant dirigé vers la création de la première unité, celui qui a tout investi de cette façon et qui se fait ensuite copier vient de se faire flouer.
Un changement d’attitude aux États-Unis à l’endroit de la propriété intellectuelle a également présidé à la ruée vers les brevets. Jusqu’aux années 1980, le système judiciaire américain entretenait un préjugé négatif à l’endroit du brevet, considérant que son détenteur était un « monopoliseur » en puissance. Mais sous l’impulsion de la Reaganomie et en réponse à l’offensive des Japonais qui s’adonnaient librement à « l’ingénierie à rebours » (un nom sophistiqué synonyme de « copie ») de produits américains, un changement d’attitude est survenu. On en est venu à voir le brevet comme une récompense légitime de l’innovation. Mais ce monopole a un prix, comme le souligne Georges Robic, associé au cabinet Robic, agents de brevets, d’inventions et de marques de commerce : « On donne le droit d’un monopole de 20 ans, mais l’inventeur est tenu de divulguer son invention. » De cette façon, tout en obtenant un privilège privé, il contribue à l’avancement général des connaissances.
Ce nouveau préjugé favorable à l’endroit des brevets s’est concrétisé dans des jugements éclatants. Auparavant, on considérait aux Etats-Unis qu’une poursuite pour contrefaçon de brevet n’avait qu’une chance sur trois d’être couronnée de succès. Après la mise en place d’un tribunal spécialisé en droit des brevets, le US court of Appeals for the Federal Circuit, les plaignants ont eu gain de cause dans 80% à 85% des cas. Les peines imposées ont désormais eu des crocs, atteignant souvent les milliards de dollars en compensation.
Ce changement d’attitude, comme par hasard, a accompagné l’offensive de globalisation des transnationales, offensive dont les États-Unis ont pris l’initiative. Au milieu des années 1980, ils ont multiplié les pressions sur l’Organisation Mondiale du Commerce pour faire dresser une charte des droits de propriété intellectuelle (les TRIPs, ou Trade-Related Intellectual Property rights). Armés de la sorte, les États-Unis ont systématiquement ciblé les pays spécialistes de la copie, comme Taiwan, la Chine, la Corée du Nord et l’Inde.
yanbarcelo | 14 août 2011 at 00:00 | Catégories : Actualité, Yan Barcelo | URL : http://wp.me/piQ2O-2VR
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