Un jour, j’irai vivre en Théorie parce qu’il paraît qu’en Théorie, tout va bien. (Les mots surpendus)

jeudi 1 septembre 2011

La fin des bancosaures

 Les dinosaures ont disparu de la surface de la Terre alors qu’ils semblaient pourtant invincibles et indispensables à la survie de l’écosystème de l’époque. Mais ces animaux gigantesques avaient un point faible, leur sang froid et finalement leur disparition n’a pas entraîné la fin de toute vie sur terre.
65 millions d’années plus tard, nous assistons à la disparition d’une autre espèce gigantesque : le bancosaure. Et quasiment tous les économistes et politiciens craignent que cela ne provoque la fin de toute vie économique sur terre. Pour parer à cela, ils sont prêts à commettre toutes les erreurs pour les maintenir en vie.
C’est que le bancosaure est lui aussi un animal fragile avec un grave point faible, sa survie dépend essentiellement d’une seule et unique chose : la confiance.
Comme tous les animaux, le bancosaure grandit avec le temps. Au début de sa vie, il accepte les dépôts des épargnants. Il veille à ce que les montants des comptes à vue des épargnants restent plus faibles que ceux des comptes à terme. Il sélectionne soigneusement les clients auxquels il prête l’argent des épargnants et investit sa trésorerie dans des actifs sans risques. Mais au fur et à mesure de sa croissance, le bancosaure prend de l’assurance. Il emprunte sur les marchés, d’abord à long terme et puis à court terme. Convaincu qu’il est devenu tellement indispensable à l’économie de son pays et qu’il détient l’épargne de tant d’électeurs, il est certain de pouvoir compter sur l’aide de l’Etat en cas de difficultés. Alors il prend des risques et devient de plus en plus dépendant de l’emprunt à court terme. C’est ainsi qu’il doit constamment renouveler ses dettes à court terme. Dans le jargon technique, on dit que sa gestion actif-passif devient de plus en plus préoccupante.
La fin du bancosaure est pratiquement toujours la même : il perd la confiance de ses créanciers. Pour éviter sa faillite pure et simple, les autorités utilisent différentes techniques :
- La nationalisation, comme ce fut par exemple le cas avec Northern Rock au Royaume-Uni en 2008, après 158 années d’existence.
- L’absorption par un bancosaure plus gros. Technique utilisée en Belgique avec Fortis en 2008 et largement utilisée en Espagne ces derniers mois. Le risque étant alors que le bancosaure absorbeur ne soit contaminé par son hôte. C’est précisément ce qui est en train de se produire avec Bank of America, le plus gros bancosaure américain qui glisse inexorablement vers la faillite depuis qu’il a repris en 2008, Countrywide, spécialisé dans le subprime…
- La fusion de deux bancosaures malades. Technique utilisée en Grèce récemment. Non pas que cette fusion donne naissance à un bancosaure sain, mais le nouveau bancosaure résultant de cette fusion apparaît alors comme tellement important que sa survie justifie toutes les interventions publiques, même les plus extrêmes.
Actuellement, les Etats sont tellement endettés après avoir massivement aidé les bancosaures lors de la première vague de la crise en 2008, qu’ils seront incapables de pouvoir faire quoi que ce soit dans les prochains mois. Il faut donc se préparer à des mesures inédites comme la mise sous tutelle d’un bancosaure par sa banque centrale. Mais à ce stade nous plongeons vers l’inconnu.
Afin d’illustrer le propos, prenons quelques chiffres extraits d’un bilan consolidé au 30 juin 2011 d’un très gros bancosaure Français qui a récemment défrayé la chronique.
Ces chiffres représentent bien ceux de l’ensemble des gros bancosaures et sont en milliards d’euros.
Total de bilan : 1 158
Capitaux propres : 52
Soit 22 fois moins ! Un ratio qui semblerait catastrophique pour n’importe quelle autre société, mais néanmoins « classique » pour un bancosaure.
Observons à présent les dettes à court terme : celles envers les autres bancosaures et celles envers les clients
A) Dettes à court terme envers les autres bancosaures : 40
Soit quasiment l’équivalent de ses capitaux propres. A ce stade, on comprend immédiatement ce qui effraye particulièrement ce bancosaure français : si les autres bancosaures commencent à douter et refusent de « rouler » ces 40 milliards d’euros, il risque la mort avant même que le premier épargnant n’ait tenté de retirer son épargne. C’est exactement là que réside le risque majeur pour ce bancosaure. Contrairement à l’idée générale, le premier danger n’est pas que les clients se ruent pour vider leurs comptes à vue. Ces épargnants arriveront déjà trop tard, car les autres bancosaures auront retiré leur argent bien avant que ces épargnants ne s’aperçoivent du moindre problème.
B) Dettes à court terme envers la clientèle : 200
Soit pour le dire simplement, il s’agit de l’argent que le client imagine pouvoir retirer à tout moment.
Observons ensuite de quoi dispose ce bancosaure en imaginant qu’il va pouvoir liquider tranquillement tout son portefeuille dans un marché serein :
Caisse, Banques centrales et actifs financiers disponibles à la vente: 156
On comprend qu’il s’agit là d’un montant plus qu’idéal, car si ce bancosaure devait être en difficulté, les répercussions sur la bourse seraient dramatiques et il serait bien incapable de pouvoir obtenir ce montant qui est de toute façon très largement inférieur à ses dettes à court terme ( 156 < 200+40)
Conclusion
Retenons donc que ces bancosaures, que le lecteur aura bien évidemment identifiés comme des banques « trop grandes pour faire faillite », sont particulièrement vulnérables à une perte de confiance de la part des autres banques. Les banques sont cruellement dépendantes les unes des autres et peuvent se retrouver en difficulté bien plus rapidement que ne peut l’imaginer l’homme de la rue. Je crains d’ailleurs fortement que nous allions devoir l’expérimenter dans les prochaines semaines.
Pascal Roussel, auteur de « Divina Insidia, le Piège Divin », analyste au sein du Département des Risques financiers de la Banque européenne d’Investissement (BEI), le 09 mai 2011.
Les opinions exprimées sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement l’opinion de la BEI ou de son management.

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