Un jour, j’irai vivre en Théorie parce qu’il paraît qu’en Théorie, tout va bien. (Les mots surpendus)

dimanche 19 février 2012

Et si les riches armateurs venaient en aide au pays en crise

Grèce: Les riches armateurs quittent le pays et lâchent leurs compatriotes

A la poursuite des armateurs grecs

Paradis fiscal. Et si les riches armateurs venaient en aide au pays en crise ? Problème : ils ne voient vraiment pas pourquoi...

"S i le gouvernement commence à nous imposer, il sera assez simple pour nous de déplacer les sièges de nos sociétés ailleurs, aux îles Caïmans, à Chypre ou à Malte." À bord de son luxueux caïque en bois, Nikos Vernikos est l'un des rares armateurs à s'exprimer librement. Ce soir-là, à la marina Zea, l'atmosphère est détendue. Dans cette partie du port du Pirée, dont les quais s'étendent de manière tentaculaire, les yachts s'entassent, plus grands et prestigieux les uns que les autres. A bord, des skippers ou des employés chargés de l'entretien, souvent d'origine sri lankaise ou philippine. Ils veillent sur ces mastodontes marins jour et nuit. Nikos Vernikos, l'un des grands de la profession, propriétaire de dizaines de tankers, est à la tête de la première société de remorqueurs du pays. Le teint hâlé, le geste ample et le sourire aux lèvres, il ne comprend pas que les armateurs soient pris pour cible."Les armateurs sont les chauffeurs de taxi de la mer. Le commerce maritime est mondial, pas seulement grec. Nous voguons en permanence et nous préférons donc avoir notre siège social dans un pays où il n'y a ni contrôles ni taxes", explique-t-il.Paradis fiscal. Et si les riches armateurs venaient en aide au pays en crise ? Problème : ils ne voient vraiment pas pourquoi...

Evangelos Venizelos, le ministre grec des Finances, englué dans une crise sans précédent, ne voit pas les choses de cette façon : "Participer à l'effort national de manière directe et immédiate, c'est maintenant et c'est pour tous", a-t-il lancé le mois dernier devant un parterre trié sur le volet qui comprenait nombre d'armateurs pas vraiment désireux de payer des impôts, même pour sauver leur pays du naufrage.

Les descendants d'Onassis sont protégés par la Constitution hellénique, qui les exempte de toute taxe, directe ou indirecte. Une immunité qui leur a été accordée pour qu'ils ne soient pas tentés de poursuivre leurs activités ailleurs qu'en Grèce."C'est tout à fait normal, assure Mia Jensen, directrice de la communication de la société Marine Marketing.Les armateurs représentent l'aristocratie de la Grèce, ils sont l'effigie du pays, un mythe vivant. En chiffres, la marine marchande représente 6,7 % du PIB, plus que le tourisme !" Les armateurs grecs détiennent la première flotte marchande mondiale. Avec plus de 3 000 bateaux d'une capacité totale de 190 millions de tonnes, ils assurent près de 15 % du tonnage de la planète et contrôlent près d'un quart des pétroliers au monde. Les familles Latsis et Niarchos figurent dans le classement Forbes des grandes fortunes."La marine est une affaire de famille qui restera longtemps une affaire grecque, affirme Yannis Pahoulis, président de l'association des agents maritimes.La nouvelle génération des armateurs est bien plus éduquée que la précédente. Elle a profité de l'expérience des pères et des grands-pères pour mettre en valeur la marine grecque. Une trentaine de compagnies sont cotées en Bourse."

En ces temps difficiles, pourtant, ce paradis fiscal intérieur fait polémique.

Privilégiés. Pressé par la troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne et FMI), le gouvernement grec impose à son peuple des mesures d'austérité implacables. Et sans grand résultat jusqu'ici, car le pays s'enfonce dans la récession et le taux de chômage explose. L'amputation à trois reprises des salaires et des retraites n'a pas vraiment permis de réduire la dette publique (370 milliards d'euros)."C'est perturbant de voir qu'aujourd'hui, avec la crise, d'un côté, un Grec sur quatre vits au-dessous du seuil de pauvreté et, de l'autre, les armateurs ne cachent pas leurs voitures de luxe, bateaux et hélicoptères privés, explique Takis Bratsos, analyste économique.Difficile d'imaginer que les milliards d'euros gagnés par les armateurs ne se retrouvent pas dans l'économie réelle du pays."

"Les armateurs sont intouchables. Ils ont tout pouvoir ici. C'est un peu comme l'Église, qui ne paie pas non plus d'impôts. La proposition de Warren Buffett de taxer les riches ne fait pas vraiment un tabac en Grèce", ironise Bratsos. Et tant pis si, dans les manifestations qui fleurissent un peu partout dans le pays, des banderoles et des calicots dénoncent les privilèges des plus riches, et donc, bien sûr, des armateurs.

Sacrifiant au réalisme, Michalis Chryssohoïdis, le ministre du Développement, se range sans aucune hésitation du côté des armateurs."Ils ont certes un statut privilégié, mais il faut reconnaître qu'ils emploient des milliers de personnes et rapportent au pays plus de 15 milliards d'euros par an." Les compagnies de shipping emploieraient en effet près de 150 000 personnes. Oui, mais..."Les armateurs créent de l'emploi, mais ne contribuent pas à l'économie du pays, explique le conseiller d'une grande compagnie maritime sous couvert d'anonymat.Pourquoi ? Parce qu'ils ne déclarent qu'un cinquième des salaires de leurs employés. Chacun d'entre eux ne déclare que 12 000 euros de revenus par an, et le reste du salaire est donné en argent liquide, à l'abri du regard des contrôleurs fiscaux. Ces pratiques touchent toute la profession et contribuent largement à la fraude fiscale qui coule la Grèce."

Retour à la marina Zea : "Si les autorités grecques veulent nous garder, elles doivent nous aider à faire rayonner le port du Pirée." Nikos Vernikos, en bon marin, sait naviguer en eaux troubles et ne trouve qu'un responsable à la situation actuelle : l'État. Pour lui, ce qui compte, c'est de faire du port du Pirée un grand centre de commerce international. Il se trouve que c'est aussi l'objectif déclaré du chinois Cosco, l'un des géants mondiaux du maritime. Déjà installée au Pirée avec deux quais où s'alignent des montagnes de conteneurs, cette entreprise asiatique a signé, en 2008, un contrat de concession du port de 3,4 milliards d'euros pour trente-cinq ans. Aujourd'hui, les armateurs grecs sont sous le charme des Chinois. Treize contrats de collaboration entre la Grèce et la Chine ont été signés, dont sept entre Cosco et les armateurs grecs pour la commande de sept cargos, avec une option sur huit autres, et l'affrètement de six bateaux.

Patriotes... Pour Yannis Yannidis, le président de la Chambre de commerce gréco-chinoise,"la Chine veut devenir le premier partenaire commercial de la Grèce d'ici quelques années. Un fonds de soutien aux armateurs va aussi être créé avec un apport de 5 milliards d'euros pour les inviter à faire construire leurs bateaux en Chine", souligne-t-il.

Où est l'Europe dans tout ça ? Pour la Grèce, l'appel du large est le plus fort, ce qui n'exclut pas tout sentiment patriotique."Ces grandes familles veulent le bien de leur pays, reprend Mia Jensen.Certaines ont fait des donations pour venir en aide aux sinistrés des incendies ravageurs de 2007, d'autres investissent dans des hôpitaux, d'autres encore dans des projets culturels de grande ampleur." C'est vrai les armateurs grecs sont fiers de leurs origines. Ils aiment leur pays. Même si Nikos Vernikos reconnaît que la plupart d'entre eux commencent à douter de l'avenir de la Grèce."S'ils étaient assurés de la stabilité politique, la plupart des grands armateurs garderaient leur argent en Grèce etinvestiraient davantage.Un malaise, qui n'a pas lieu d'être, s'est installé dans nos affaires, et c'est dommageable pour tous", dit-il. Voilà pour le politiquement correct, mais... " Nous n'allons tout de même pas vivre dans la misère par simple solidarité ! Je ne comprends pas pourquoi il serait tabou de rouler avec ma voiture de luxe ou d'aller en yacht sur mon île." Et de s'en prendre au gouvernement Papandréou: "C'est cela, l'ADN des socialistes ?Il leur faut pourtant réaliser que la richesse du pays, c'est nous. La peur et l'insécurité n'attireront pas les investisseurs en Grèce. Au contraire, ils se rendront en Sardaigne ou à Monte-Carlo", conclut l'armateur, originaire de l'île de Siphnos, dans les Cyclades. Navigants entre les vagues de ces intérêts croisés, les armateurs, prenant exemple sur la superbe de leur dieu tutélaire Poséidon, attendent paisiblement que l'accalmie revienne. Et que l'État, dos au mur, se ressaisisse. Eux ne font que passer...
Source: Le Point
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