Un jour, j’irai vivre en Théorie parce qu’il paraît qu’en Théorie, tout va bien. (Les mots surpendus)

vendredi 28 juin 2013

Le luxe "Made for China"

 

"Trésors de Cartier, roi des joailliers, joaillier des rois", à la Cité Interdite à Pékin en 2009. Photo: Stefen Chow/Getty Images pour Cartier Exposition | Stefen Chow

CE N'EST NI PARIS NI NEW YORK QUE LE DIRECTEUR ARTISTIQUE DE SAINT LAURENT,
Hedi Slimane, a choisi pour inaugurer sa toute première boutique, marquée de son nouveau logo, en septembre dernier. Mais Shanghaï. Un choix stratégique et une opération de séduction des consommateurs chinois, conquis par son esthétique radicale et épurée. "Le virage stylistique qu'il a opéré a été très critiqué en France, relate Antoine Burger, consultant du bureau de tendance Peclers Paris. A l'inverse, en Chine, où l'on connaît peu la tradition de la femme Rive Gauche d'Yves Saint Laurent, il a bénéficié d'un accueil chaleureux."

Une rétrospective Van Cleef & Arpels au musée d'art moderne de Shanghaï (1, en 2012), l'exposition "Culture Chanel" dans trois villes chinoises (2, en 2011) : pour mieux faire connaître la culture du luxe, les enseignes célèbrent leur patrimoine. Et comme Hermès ou Louis Vuitton (3) choisissent de limiter le nombre de boutiques. Photo: Van Cleef & Arpels |

"L'élite chinoise a beaucoup évolué, remarque
Eric Brionnes, directeur du planning stratégique de l'agence de publicité Publicis EtNous. Elle est fatiguée des signes ostentatoires de richesse, des monogrammes et des logos apparents. Elle attend du luxe qu'il incarne sa personnalité et non sa réussite sociale." En 2015, la Chine devrait représenter un tiers du marché du luxe mondial, soit 175 milliards de dollars, selon le cabinet de conseil en stratégies McKinsey & Company. "Jamais le luxe n'a été confronté à un tel volume, rappelle Jean-Noël Kapferer, professeur à HEC et coauteur de Luxe Oblige (éditions Eyrolles). Or dans ce contexte, soit on cède à la demande et l'on creuse sa propre tombe en banalisant un produit devenu accessible au plus grand nombre. Soit on s'inscrit dans le long terme en préservant le caractère exclusif et rare du produit de luxe." Ainsi, après la vague des ouvertures de "flagship stores" dans les années 2000 - ces magasins vitrines censés faire la démonstration de l'hyperpuissance d'une marque -, les maisons de luxe ralentissent leur implantation, notamment dans les provinces chinoises, pour éviter de dégrader leur image. "Les riches de ces villes sont plus fiers d'aller faire leurs courses à Pékin voire à Hongkong que de trouver le produit chez eux", confirme Jean-Noël Kapferer. Et de citer l'exemple d'Hermès qui a choisi de limiter le nombre de ses boutiques... et a vu son chiffre d'affaires augmenter de 25 % en Asie (hors Japon).

Une rétrospective Van Cleef & Arpels au musée d'art moderne de Shanghaï (1, en 2012), l'exposition "Culture Chanel" dans trois villes chinoises (2, en 2011) : pour mieux faire connaître la culture du luxe, les enseignes célèbrent leur patrimoine. Et comme Hermès ou Louis Vuitton (3) choisissent de limiter le nombre de boutiques. Photo: Imaginechina/ AFP | Imaginechina / Xu congjun nt

Si le secteur du luxe français comprend mieux les goûts de l'élite chinoise, il a en revanche plus de mal à
cerner les pratiques de la classe moyenne, un marché en pleine expansion. "Il s'agit de 200 millions d'individus qui découvrent les marques françaises, explique Jean-Noël Kapferer. Ils sont dans une situation comparable à celle d'un Français auquel on demanderait d'acheter un vase Ming. Ce dernier aurait beaucoup de mal à différencier une pièce de qualité d'une pâle copie. D'où l'importance de l'éducation." Ainsi, les marques multiplient-elles les événements célébrant leur patrimoine, mis en scène telle une oeuvre d'art. Ce fut le cas de l'exposition « Culture Chanel", présentée successivement dans d'importants musées, à Shanghaï, Pékin, Canton et, pour finir, à Paris, au Palais de Tokyo en mai dernier. Même démarche chez Cartier - qui a organisé l'exposition « Trésors de Cartier" à la Cité interdite en 2009 - ou Van Cleef & Arpels, avec la rétrospective "Timeless Beauty" au Museum of Modern Art de Shanghaï en 2012. "Les Journées particulières de LVMH qui viennent d'avoir lieu à Paris s'inscrivent dans le même mouvement, estime Jean-Jacques Picart, conseiller indépendant pour des maisons de luxe. Elles sont destinées à faire de la pédagogie auprès du grand public français et à l'échelle internationale grâce au rayonnement médiatique de l'opération."

Thierry Depagne / Chanel Une rétrospective Van Cleef & Arpels au musée d'art moderne de Shanghaï (1, en 2012), l'exposition "Culture Chanel" dans trois villes chinoises (2, en 2011) : pour mieux faire connaître la culture du luxe, les enseignes célèbrent leur patrimoine. Et comme Hermès ou Louis Vuitton (3) choisissent de limiter le nombre de boutiques. |

"On entre dans une nouvelle ère, assure Eric Brionnes. On est en train de
passer du "Made in China" au "Made for China". Cela ne signifie pas que le luxe français doit caricaturer son offre avec des déclinaisons d'inspiration asiatique. Il s'agit plutôt de respecter davantage la culture chinoise et de cesser de considérer ce pays comme une gigantesque usine." Une démarche déjà engagée par le secteur de la beauté qui, au lieu d'imposer des produits occidentaux en Asie, propose des formules conçues pour le marché chinois. Exemple emblématique, le soin CC Cream de Chanel qui a obtenu un tel succès en Chine qu'il a finalement été lancé dans le reste du monde cette année. Cette attention privilégiée se traduit aussi par des initiatives comme celle de Dior reproduisant certains de ses défilés parisiens en Chine. Ou plus radicale, celle de Moschino. La marque a délaissé la statutaire semaine de la mode milanaise pour défiler exclusivement à Shanghaï. "La Chine est incroyablement importante en tant que marché", justifie Rossela Jardini, directrice artistique de la maison italienne. Un parti pris qui pourrait inspirer d'autres acteurs du luxe dans les saisons à venir.
Lili Barbery-Coulon

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