Un jour, j’irai vivre en Théorie parce qu’il paraît qu’en Théorie, tout va bien. (Les mots surpendus)

vendredi 30 août 2013

Les limites de la tolérance et de l’accommodement

Réflexions libres suite à la lecture du texte intitulé « Démocratie et obligations religieuses : l’impasse ? » publié par Diane Guilbault sur Sisyphe.

 publié par Diane Guilbault sur Sisyphe.

Quelle intelligence ! Je suis sidérée, ravie ; une voix libre de jugement qui s’élève afin de poser les questions qui s’imposent ! Les mots de Diane Guilbault doivent être lus et entendus : je souhaite que son texte paraisse dans les presses à grand tirage, car rien d’aussi posé, d’aussi percutant et pertinent sur le sujet n’a été publié malgré l’importance, voire l’urgence d’aborder ces questions dans notre société. Toute ma reconnaissance pour son texte.

En tant que citoyenne, en tant que femme surtout, je me sens fortement interpellée par tout ce débat face à la diversité des cultes et aux accommodements parfois douteux, boiteux, voire régressistes qu’elle génère.

J’apporte ici ma propre réflexion, en vrac, cafouilleuse et parfois grinchante, loin de me satisfaire moi-même et loin d’être aussi habile que Mme Guilbault à mettre en mots des idées et valeurs qui m’apparaissent parfois comme contradictoires, mais je crois qu’il faut oser se prononcer, oser se dire malgré le risque d’être catapultée (à juste titre ou injustement) dans le rang des « politically pas correct ». Si nous ne débattons pas de nos visions et de nos valeurs, si nous n’osons plus nommer nos malaises, même maladroitement, comment en viendrons-nous à créer une société plus démocrate et tolérante ?

Ce ne sont pas les statuts religieux ou les croyances religieuses qui sont réfutées ici, mais bien les résultantes de l’application systématique d’une tolérance aveugle et sans condition, dans une société qui a chèrement payé (les femmes en particulier) pour enfin se décloîtrer des carcans que la religion catholique avait réussi à lui imposer. Il faut se souvenir que c’est en grande partie grâce à la laïcité de l’État que des femmes de toutes confessions, musulmanes et juives comprises, peuvent étudier dans le Québec d’aujourd’hui et accéder à des sphères autrefois réservées aux hommes (puisque la femme, selon la position catholique d’alors, avait un rôle bien arrêté de pourvoyeuse d’enfants et de reine du foyer, quel besoin, alors, d’étudier ?)

J’entends beaucoup critiquer la laïcité à deux tranchants du Québec et des Québécois-es (encore faut-il préciser que lorsqu’il s’agit de racisme ou d’intolérance, curieusement, seuls les Québécois de « souche » sont pointés du doigt). On nous reproche de ne faire de la place qu’à certains symboles religieux (la croix, entre autres choses), critiquant notre intolérance face au kirpan par exemple (c’est une arme blanche faut-il le rappeler à notre gros bon sens ?) ; face au voile (nous nous sommes battues, femmes du Québec de toutes origines, afin de nous désencarcanner du rôle de « gardienne de la vertu » qui nous était octroyé par la religion catholique ; faudrait-il revenir 50 ans en arrière ?) sur les lieux de prières : que je sache, il n’y a pas de chapelle dans les universités, du moins pas systématiquement ? On souhaite un VRAI débat sur la VRAIE laïcité. Mais que souhaitent au juste ceux et celles qui se disputent actuellement autour de nos « restants » de spiritualité ? Qu’à intolérance égale, nous fassions exactement ce qu’ils ou elles ne souhaitent pas, c’est-à-dire exclure complètement, sans jugement, sans sens critique, sans mesure, TOUS les symboles religieux de nos vies, afin d’être plus « juste » pour tout le monde ? Personne ne se rend-il compte que l’intolérance c’est ça, justement, la démesure, la démagogie ?

Alors, où est le vrai problème ? Qui est dans l’intolérance ici ? Intolérance de notre culture, de nos racines, de notre ouverture, de notre tempérament d’Occidentaux du 21e siècle ? Si j’allais vivre en Iran, en Afghanistan, en Turquie, en Inde, dans les pays théocratiques où la religion est au cœur de tout, pourrais-je mener une lutte féministe et faire respecter mes valeurs de femme telles que vécues ici ? Y aurait-il amendement à toute une société pour me permettre à moi de vivre selon mes valeurs ? Je suis fière que des hommes s’impliquent auprès de leur femme enceinte et suivent des cours prénatals avec elle ; va-t-on évacuer cette magnifique avancée sous prétexte qu’elle brime les convictions religieuses et la pudeur de certaines personnes ? Et que penser de l’histoire de cet homme qui a tenu tout un hôpital de Montréal en haleine afin de contrôler QUI ferait accoucher sa femme. Comment se fait-il qu’il ne soit pas en prison ou à tout le moins jugé pour ses agissements qui ont mis en danger la santé de son épouse et de son futur bébé ? S’il avait été Québécois de souche, pensez-vous que cet hôpital aurait été aussi accommodant à son égard ?

La religion (et tous ses symboles) n’est PAS l’apanage de la spiritualité. On peut très bien être croyant et être le plus parfait imbécile de la planète. Certaines personnes tuent en ce moment au nom de Dieu, faut-il se le rappeler, comme nos templiers le faisaient il y a trois cents ans, se croyant eux aussi investis d’une mission purificatrice et nécessaire, commandée par Dieu. Mais faut-il être tolérant de barbaries parce que nous fûmes nous aussi barbares ? Faut-il tout tolérer, jusqu’à l’aberration ? Où tout cela va-t’il s’arrêter ? Des familles en Inde brûlent leurs filles, sous prétexte que leur religion le leur commande ; en Afrique, on excise les fillettes, ailleurs on les lapide pour payer une dette d’honneur.

Est-ce ça, le gros bon sens ? Si on ouvre la porte à ce genre de discours et qu’on pose le problème actuel sous cet angle, on donne naissance au fouillis le plus innommable : dès l’instant où un individu se prévaudra de sa foi, tout lui sera permis ?

NON !

Nous ne pouvons (ce « nous » incluant TOUTES les personnes vivant ici, au Québec) tolérer l’intolérance ou l’intolérable sous prétexte qu’ils sont commis sous le sceau « sacré » de la religion ; nous ne pouvons accepter que des individus soient exemptés de notre démocratie, de nos lois et de nos choix de société.

Au Québec, il est vrai que nous avons remis la religion à une place qui seyait davantage à notre culture et à nos valeurs ; ce geste collectif est né d’une réflexion profonde, d’une éclosion de notre conscience collective et je suis heureuse de participer de la suite de cette ouverture. Qui a dit que nous avions, ce faisant, perdu toute spiritualité ? Je crois au contraire qu’il y a plus de spiritualité dans l’envie de faire du bien à son prochain, de respecter l’environnement, de consommer équitablement et d’essayer d’être de meilleurs humains chaque jour, que dans le geste d’aller à la messe tous les dimanches ou de s’agenouiller cinq fois par jour pour prier, avec au cœur une rage de dents contre l’humanité.

Mylène Beauregard, féministe en mutation
Mis en ligne sur Sisyphe, le 16 décembre 2006

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