Avec 29% des ses habitants qui se déclarent "athées convaincus", la France serait le 4ème pays le plus athée au monde selon une récente étude internationale de WIN/Gallup.
Publié le 26 mai 2013
Atlantico : Selon une récente étude internationale de
WIN/Gallup, la France serait le 4ème pays le plus athée au monde avec 29% de
ses habitants qui se déclarent "athées convaincus" derrière la Chine,
le Japon et la République tchèque. Comment expliquer cette caractéristique
française ? Est-ce uniquement dû à notre passé révolutionnaire ?
Jean-Sébastien Philippart : Il est certain que la volonté
des Lumières de rejeter tout fondement religieux afin d’établir les principes
fondamentaux d’une morale non confessionnelle et universelle constitue l’un des
traits caractéristiques de l’"esprit" français. A cet égard, la
laïcité "à la française" s’est toujours assimilée facilement à un
combat en faveur de la liberté de conscience et de connaissance que toute
religion semblerait menacer par nature. Toutefois, il ne faut pas oublier
qu’aux yeux d’une partie des Lumières, l’athéisme, certes moins meurtrier que
le fanatisme religieux, devait être condamné pour cause d’immoralisme (l’athée
n’étant pas jugé digne de foi). Alors que les Lumières défendaient la
perfectibilité humaine — et donc admettaient une déchéance toujours possible de
l’homme —, c’est au positivisme et au comtisme en particulier que l’esprit
français doit l’idée assurée que la religion (l’"état théologique")
constitue un moment dépassé par l'"état métaphysique", puis par
l’"état positif" émanant des sciences les plus abstraites pour s’emparer
ensuite des sciences humaines. Or Jules Ferry, dont on connaît l’importance
dans la constitution de l’identité républicaine, fut le promoteur de cette
doctrine. Pour lui, la science s’oppose désormais victorieusement à la religion
dont les illusions théologiques ne tiennent plus debout. Si, aujourd’hui, le
positivisme a été à son tour dénoncé à titre de mythologie (par les mêmes
sciences qu’il a lui-même promues), son spectre ne cesse d’être efficient et
explique selon moi que le phénomène perdure.
Quels sont les autres facteurs politico-historiques et
sociologiques qui nous différencient des pays "comparables" à la
France ?
L’explication tourne toujours autour du concept de laïcité
que seuls des pays comme la France et les Pays-Bas ont inscrit dans leur
constitution. Si la laïcité espagnole a ceci de commun avec le modèle français
de présenter une déconfessionnalisation de l’Etat, les conditions dans
lesquelles elle s’est opérée vont en donner une autre figure. Dans la mesure en
effet où l’Eglise, par souci de réalisme, s’est montrée plutôt conciliante
vis-à-vis du processus de sécularisation, elle jouit aujourd’hui encore en
Espagne d’une grande liberté organisationnelle et d’expression. Comme l’Italie,
l’Espagne reste sous un régime concordataire. Malgré le passé compromettant de
l’Eglise de part et d’autre sur le plan politique (accords du Latran, appui au
régime franquiste), les deux pays n’ont jamais véritablement remis en cause le
rôle de la religion. Le catholicisme demeure la religion d’une grande majorité
des italiens, tandis que l’Etat finance les écoles religieuses et maintient
l’enseignement religieux dans les écoles publiques. Et face aux plaintes devant
l’ostension d’un crucifix dans une classe, le Conseil d’Etat italien a souvent
justifié son maintien par la valeur culturelle de l’objet. Il semble donc que
l’enjeu soit le rapport au passé, en l’occurrence, à la religion historique. Il
y a peut-être en France quelque chose du passé qui ne veut pas passer. Quant au
Royaume-Uni, le concept de laïcité y paraît bien étranger. Pour des raisons
historiques en effet, le chef d’Etat est gouverneur suprême de l’Eglise
d’Angleterre tandis que le Parlement contrôle la doctrine, le culte et nomme le
personnel dirigeant. Et paradoxalement, c’est au nom de cette union que
l’Angleterre tolère l’expression des autres religions.
Dans quelle mesure déclarer que l’on est "athée
convaincu" relève-t-il d’une posture sociale plutôt que d’une conviction ?
Ce chiffre reflète-t-il une réalité ?
L’athéisme est une forme de croyance : celle qui affirme que
l’au-delà n’existe pas. Or dès le moment où elle s’exprime — et comment une
affirmation pourrait-elle ne pas devoir s’exprimer ? —, la croyance tombe dans
le domaine public et se confronte à d’autres convictions face auxquelles elle
se maintient, se renforce ou se déforce. Mais il y a plusieurs manières d’être
athée. L’athéisme peut se confondre avec le laïcisme (militant) comme il peut
assumer pacifiquement l’héritage religieux en y reconnaissant des valeurs
essentielles. Et de la même manière que des catholiques s’affirment aujourd’hui
"non-pratiquants", on peut imaginer des athées non-pratiquants,
c’est-à-dire ne cherchant pas à convaincre. Eu égard au contexte français
évoqué plus haut et à la forte augmentation statistique (en 2005, l’étude
comptait 14% d’athées en France), je dirais qu’il doit y avoir une bonne part
d’athéisme qui s’exprime ici en guise de conscience citoyenne. Devant notamment
les affaires de pédophilies qui ont fortement sali l’Eglise et devant un islam
qui ne fait pratiquement parler de lui que de manière négative, la posture
athée s’impose comme un devoir contre la violence extrême dont peut être
génératrice la religion.
La France est-elle en avance ou en retard sur l’histoire ?
Diriez-vous que le reste de l’Occident a déjà traversé cette étape d’athéisme
ou qu’il va la traverser ?
Votre question est bien française en ce qu’elle suppose une
marche linéaire de l’histoire à la manière positiviste. La synchronie nous
révèle tout autre chose : un ensemble complexe de tensions. Le développement de
l’islam, sans organisation véritable, oblige le christianisme en Europe à
repenser les modalités de son affirmation au risque de diviser un peu plus les
chrétiens ou de les agglomérer dans l’identitarisme. Face à ce retour du religieux,
les progressistes montent au créneau et le besoin de laïcité se fait toujours
plus pressant çà et là, mais en se confrontant par la même occasion à
l’identité historique et culturelle du pays que ce besoin ne manque pas de
réveiller. Tensions également entre les nations et les institutions
européennes, lesquelles défendent une vision strictement contractuelle du lien
social, au mépris de l’histoire et des histoires à travers lesquelles les
hommes se reconnaissent les uns les autres. A cet égard, l’Europe
ultra-libérale défendant un universalisme abstrait où les préférences de
n’importe qui vaudraient les préférences de n’importe qui d’autre, dans les
limites de la simple tolérance, cette Europe déracinée donc, réduite aux bruits
et aux cris d’un gigantesque marché, rejoint les aspirations les plus
progressistes. Toutes ces tensions se croisent et se recroisent en direction
d’un avenir incertain…
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