Un jour, j’irai vivre en Théorie parce qu’il paraît qu’en Théorie, tout va bien. (Les mots surpendus)

jeudi 29 septembre 2011

Ces indignés américains qui veulent faire sauter le capitalisme

Depuis plus de 10 jours, un mouvement que l'on pourrait qualifier d'indignés américains, campe devant Wall Street à New-York, en réclamant la destruction du système financier. Ce mouvement, sorte de miroir du Tea Party, commence à prendre de l'ampleur...

Aux États-Unis, un rassemblement populaire siège depuis plus de 10 jours devant Wall Street.
Aux États-Unis, un rassemblement populaire siège depuis plus de 10 jours devant Wall Street.  Crédit Reuters

Atlantico : A travers le monde se propagent des mouvements populaires de contestation : printemps arabe, indignés en Europe. Aux États-Unis, un rassemblement populaire siège depuis plus de 10 jours devant Wall Street. Ce mouvement s’inscrit-il dans cette même mouvance ?

Anne Deysine : Il y a une composante américaine, mais ce sont avant tout les conséquences de la mondialisation : il existe ainsi des points communs avec les Tunisiens qui se sont révoltés contre Ben Ali qui leur avait confisqué les ressources nationales.  
Les inégalités sont en train de se réduire entre les États, mais se creusent au sein de chaque État. Que ce soit aux États-Unis, en France ou en Grèce, on a un petit pourcentage de très riches, et une majorité qui est non seulement pauvre, mais qui se sent exclue de tout : on lui confisque les élections, le pouvoir …
Les Américains n’ont pas la culture de la contestation comme on peut l’avoir en France. Lorsqu’il y a des dérives populistes, ce sont généralement des dérives « à la Tea Party », à droite, et contre l’omniprésence du gouvernement. Ce qui est intéressant avec cet événement, c’est que la gauche américaine, qui a toujours été très petite mais très contestataire (on voit notamment réapparaître Michael Moore et Noam Chomsky), emboite le pas à un mouvement qui n’est pas culturellement américain, en dénonçant confiscation de la richesse économique et du pouvoir politique.
Aux États-Unis, les élections sont financées sur les fonds privés, et depuis janvier 2010 la Cour Suprême a confirmé que les entreprises, comme les individus, peuvent financer autant qu’elles le veulent des candidats à l’élection présidentielle. Il y a donc une conjonction entre pouvoir économique et pouvoir politique.

Qui sont ces indignés américains ?

Il y a à la fois des démocrates de l’extrême gauche qui sont déçus d’Obama et de son action vis-à-vis de Wall Street (il a notamment dans son équipe des anciens de Wall Street qui ont participé à la crise de 2008), et des citoyens américains normaux qui en ont assez de voir que ce sont toujours les mêmes qui profitent de la situation, que leur bulletin de vote ne sert à rien, et que les gouvernements en place favorisent les nantis.
Il y a un mouvement de fond, une prise de conscience de la part des électeurs, qui comprennent qu’ils ne peuvent plus changer les choses par les urnes, et qu’il faut essayer d’autres mouvements.

Comment réagit la presse américaine à cet événement ?

Aux États-Unis, on en parle pour étudier le fait qu’ils aient été arrêtés car la manifestation n’était pas autorisée (le droit de manifester aux États-Unis est très restreint, on peut généralement se balader avec une petite pancarte). Ces arrestations se sont faites en utilisant des gaz lacrymogènes. Il n’y a par exemple rien dans le New York Post. Il n’y a aucune analyse du mouvement. Il n’y a qu’une critique du comportement de la police.

Quelles sont leurs revendications ?

Il y a pour le moment un grand cri de ras-le-bol. Ils sont contents d’être ensemble et de montrer qu’ils existent. Ils sont satisfaits d’occuper des centres économiques et de pouvoirs importants.

Le mouvement peut-il s’étendre à travers le pays ?

Ce n’est pas exclu, car il y  a un ras-le-bol considérable, une grande crainte du chômage. Dans le système américain, qui est très polarisé, les deux partis refusent de faire le moindre pas l’un vers l’autre, et le peuple américain, quand on voit les sondages, sont modérés et sont prêts à faire des efforts. Ils comprennent qu’il fallait augmenter le plafond de la dette, qu’ils ont vécus à crédit et qu’il faut changer de modèle, et qui veulent une réforme globale qui prenne en compte leurs difficultés.
Ils sont politiquement conscients, comme en Grèce, que c’est la classe moyenne inférieure qui fait le gros de l’effort, et qu’on ne va pas faire de ponction fiscale  envers les riches. C’est la même chose en France. On économise 250 millions par-ci, 250 millions par-là, alors qu’avec une réforme, qui figure dans un rapport de la cour des compte, qui abrogerait la TVA réduite des restaurateurs et l’exonération des heures supplémentaires pour récupérer 10 à 15 milliards. Mais ça, personne ne le dit. Peut-être que ce type de mouvements va porter sur la place publique les vrais chiffres et les vrais enjeux.

Est-ce une nouveauté historique, ou peut-on le comparer, par exemple, aux manifestations de Seattle en 1999 ?

Seattle en 99, c’était différent, c’était anti globalisation. C’était la classe ouvrière américaine qui se rendait compte que le libéralisme économique faisait perdre des emplois. Ils ont donc contesté à un sommet de l’OMC, le libre-échange étant l’ennemi de l’époque. Mais désormais il y a un déplacement du combat.
Aujourd’hui, l’ennemi a changé. L’ennemi c’est le capitalisme financier, et c’est le système fiscal qui aurait besoin d’être remanié, partout. Avec toutes ces exonérations fiscales, ces niches fiscales, on ne sait plus qui paie l’impôt et à priori ce ne sont pas les bonnes personnes qui paient l’impôt. Aux Etats-Unis, certains préconisent le Flat Tax, c’est-à-dire une abrogation du code des impôts en vigueur, puis tout le monde paie un impôt à taux unique.

Au fond, finalement, les véritables indignés américains, ne sont-ils pas les membres du Tea Party ?

Il y a des dérapages d’indignés, de populisme, comme le Tea Party. Ce sont des mouvements qui s’élèvent contre la mainmise du gouvernement. C’est culturel, c’est historique. Les États-Unis sont nés en se débarrassant des Anglais qui leur imposaient des taxes sans pouvoir politique. Dans la constitution de 1787, il y a des mécanismes pour faire en sorte que l’État ne soit pas trop puissant.  
On reconnaît que le pouvoir fédéral est nécessaire, mais il y a une liste limitative des prérogatives de l’État fédéral, ce sont les pouvoirs énumérés (enumerated powers). Le reste est du ressort des Etats fédérés et du peuple américain. C’est le cœur du système politique américain. C’est sur ça que surfe, avec une certaine mauvaise foi, le Tea Party. Ils sont instrumentalisés par la droite religieuse et par l’idée de démanteler les programmes sociaux. Dans la déclaration d’indépendance, il est écrit qu’un gouvernement n’est pas là pour gouverner, mais c’est là pour faire en sorte que le droit des citoyens américains soit respecté. Jefferson a précisé que si le gouvernement outrepasse cette mission, c’est le droit des citoyens de s’en débarrasser et de changer de gouvernement.

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