Un jour, j’irai vivre en Théorie parce qu’il paraît qu’en Théorie, tout va bien. (Les mots surpendus)
mardi 5 novembre 2013
Les grumeaux
Jean-François Nadeau | Montréal
Denis Coderre élu maire ! Je suis pénétré comme tout le monde par la grandeur de l’instant.
Que d’émotions de le voir tout rond plonger dans pareille fonction. « Tout corps plongé dans un liquide, disait Archimède, reçoit une poussée, qui s’exerce de bas en haut, et qui est égale au poids du volume de liquide déplacé. » Est-ce donc à dire que Montréal va remonter à mesure que Coderre plongera aussi lourdement qu’il le promet ? Permettez un léger doute.
Pour trouver une solution à la descente abyssale de Montréal, il faudrait considérer les racines des problèmes qui la coulent, en prenant appui sur des comparaisons historiques avec d’autres villes, à commencer peut-être par Chicago.
Au milieu des années 1920, Chicago traversait une longue nuit du crime forgée au ras du sol à coup d’éclats de néons, de reflets de canons gris acier et de rages rouge sang. Le quartier général du célèbre gangster Al Capone était déjà si connu qu’il faisait partie du programme touristique pour quiconque entendait visiter la ville.
L’objectif du gangstérisme était d’éliminer la concurrence pour maximiser la croissance des profits de quelques-uns dans un vaste effort pour voir triompher une économie de monopole. Dans cette ville moderne dont l’arrière-plan historique était la jungle du Far West, on faisait des affaires splendides, à condition de savoir fermer les yeux devant ceux que l’on terrorisait ou que l’on assassinait.
***
Des films, des romans, des documentaires nous racontent à l’infini le Chicago d’Alphonse Capone et de ses successeurs. Or Montréal ne vient-elle pas d’un passé semblable mais demeuré silencieux, caché derrière les beaux discours ?
En 1923, de part et d’autre de la rue Sainte-Catherine, on trouve toute une faune inquiétante. Derrière des volets mi-clos pullulent les bordels, les tables de jeux illégaux, des cafés et des salles de danse voués à des activités interlopes. Des Montréalais s’inquiètent. Ils demandent le concours d’une équipe d’enquête venue spécialement de Chicago pour évaluer la situation.
Aux enquêteurs, Montréal apparaît telle une « Open City », une expression anglaise que l’on traduit à la va-vite par « ville ouverte » et qui signifie en fait qu’elle se donne entièrement à ses exploiteurs. Le rapport des experts soutient même que Montréal est la ville la plus pourrie et corrompue d’Amérique. Ce n’est pas rien comme affirmation, surtout quand on vient comme eux du Chicago d’Al Capone.
Cet avis conduit un groupe de citoyens à réclamer une enquête publique. Elle sera conduite par un juge du nom de Louis Coderre. Que dit-il ? « Le vice s’étale dans notre ville avec une hideur et une insolence qui paraissent sûres de l’impunité. » Il observe des fraudes de toutes sortes et partout, mais les conséquences de ses révélations sont moins profondes qu’on ne l’espérait. En sage, le juge Coderre avait pourtant constaté d’entrée de jeu que si son travail d’enquête « ne devait aboutir qu’à quelques déplacements individuels, elle n’atteindrait pas son but, et il pourrait devenir nécessaire de recommencer dans quelque dix ou quinze ans ».
Comme de raison, tout est très vite à reprendre de zéro. Dès la fin des années 1940, Pax Plante se retrouve à dénoncer exactement les mêmes malheurs. Après avoir été chassé par l’administration municipale corrompue et avoir collaboré ensuite avec Le Devoir, Plante doit s’exiler au Mexique pour sauver sa peau.
Un jeune ambitieux du nom Jean Drapeau sera crédité devant l’histoire de la volonté d’en finir avec les malversations de toutes sortes. Or Drapeau souhaitait surtout remplacer un vieux régime par le sien : les affaires louches vont persister à Montréal, comme dans sa périphérie immédiate. À la fin de l’ère Duplessis, une suite de scandales secoue encore une fois la classe politique.
En 1972, il y aura une nouvelle enquête sur le crime organisé : la CECO. En pleine salle de rédaction, un journaliste du Devoir sera l’objet d’un attentat armé par un membre de la mafia. Nous arrive aujourd’hui, après tout ce que l’on a appris, la commission Charbonneau. Plus ça change… Et ce brave Denis Coderre qui ne trouve rien de mieux à évoquer que la toute-puissance de son filtre magnétique très personnel pour arrêter tous les grumeaux nauséabonds charriés jusqu’à nous par l’histoire !
Coderre maire ! Montréal a sorti son nom des urnes comme on sort au hasard un numéro à quelque jeu de loto. À cette loterie, un programme électoral ne comptait pas du tout : ceux des candidats les plus plébiscités apparaissent aussi étroits que vagues, à commencer par celui de « l’Équipe Denis Coderre » qui n’aura avancé, pour arriver première, qu’une suite de lieux communs propres aux vieux partis dont il a repris le personnel.
Quelles raisons à ce vote ? Chacun les siennes ! Y compris celles de la déraison. On a raconté que Rome avait déjà élu puis acclamé un cheval comme consul. Alors, chez nous, pour quel animal avons-nous voté ?
Coderre élu, on a tout simplement l’impression que n’importe quel électeur est un candidat brillant de raté pour la mairie. Mais avec un pourcentage considérable d’abstentions à cette élection, on comprend que la majorité ne souhaitait pas même être figurante dans cette mauvaise pièce qu’on aurait préféré ne tout simplement pas voir jouée.
On avait beau voir venir de loin la conclusion de pareille mise en scène électorale, ce résultat fait mal et donne honte, comme une trappe à souris qui se referme sur vos doigts en claquant sec.
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