Dmitri
Streltsov, orientaliste russe reconnu et professeur à l'Institut des
relations internationales MGIMO, estime que l'adoption de ces documents
s'inscrit dans une stratégie cohérente visant à positionner plus
activement les intérêts géopolitiques du Japon dans la région :
«
Tout a commencé par l'entrée en fonction du gouvernement Abe à la fin
de l'année dernière. Mais je pense que le point de non-retour a été
franchi en été ou à l'automne de cette année : la composante militaire a
nettement pris le dessus sur les autres volets de la politique de
sécurité japonaise. Cela concerne la politique de renforcement de
l'armée, en premier lieu des forces navales. Il est également important
que les Japonais aient engagé la mise en place d'un potentiel balistique
orienté concrètement sur le conflit autour des îles Senkaku. Ce sont
des décisions très sérieuses du point de vue technique et
militaro-technique qui exerceront un impact sur la politique. Il est
difficile de dire si ces décisions sont bien fondées, mais leur logique
est évidente : la dissuasion de la Chine. En 2013 Tokyo a laissé
entendre sans dissimuler qu'il était prêt aux mesures les plus
rigoureuses allant jusqu'à l'utilisation de la force militaire si les
Chinois débarquent à Senkaku. »
Dmitri
Streltsov trouve que les parties sont allées trop loin dans leur bras
de fer. D'autant plus que ni les Japonais, ni les Chinois ne sont
intéressés à une confrontation militaire non dissimulée. Il est clair
que les diplomates chercheront une issue à cette situation par le biais
d'un dialogue dans les coulisses et d'accords informels afin d'éviter
que la confrontation ne dégénère en conflit armé.
Le
sinologue russe Vladimir Korsoun fait remarquer que dans les relations
avec la Chine, les hommes politiques et les diplomates japonais doivent
prendre en considération la situation dans ce pays :
«
Aujourd'hui la blogosphère et la presse jaune chinoises pérorent
beaucoup à propos de l'extension de l'espace vital de la Chine, de la
culpabilité de l'Occident face à la Chine et du droit de celle-ci de
procéder à une répartition juste des ressources mondiales. Des
déclarations du même genre émanent aussi d'auteurs beaucoup plus
sérieux. La plupart des propos acerbes concerne le Japon. C'est que
l'idée maîtresse du nouveau dirigeant chinois Xi Jinping en matière de
politique est le rêve chinois. Pour le mettre en œuvre il faut
consolider la nation sous le slogan du nationalisme. Pour ce faire, il
faut avoir un ennemi extérieur concret. Ce rôle a été réservé au Japon.
Pas seulement à cause de Senkaku. Le Japon n'est pas seulement critiqué
pour son comportement dans la politique extérieure, pour son intention
de révoir la Constitution et la stratégie de défense et d'obtenir le
droit à la défense collective. Cette critique concerne également les
aspects internes de la politique nippone. Ainsi l'ouvrage intitulé « Qui
contrôle le Japon » a paru en Chine et est diffusé dans tous les
journaux dans l'interprétation de l'agence Xinhua. Cet ouvrage explique
au lecteur chinois que le régime du Japon n'est pas stable et revêt des
traits féodaux. Sous certains aspects le Japon ne serait pas très loin
de la Corée du Nord : le Japon est contrôlé par cinq familles; des
députés y sont élus à vie; la plupart des fonctionnaires sont issus
d'une seule Université, Todai; il y a un grand nombre de dynasties. »
Un
tel lavage de cerveaux porte ses fruits. Au restaurant très en vogue «
Mao Zedong », dans l'Est de Pékin, on peut voir des Chinois gentils et
intelligents sauter sur la table et crier « Bombarder Tokyo ! » ou «
Mort aux Japonais » après quelques doses d'alcools et le visionnage d'un
programme antijaponais.
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