
Il y a plus de 50 000 ans, l'homme a commencé à sérieusement se distinguer des autres animaux, grâce au développement de sa faculté du langage. Avec cette langue, l'homme pouvait désormais transmettre le savoir acquis par ses propres expériences à ses descendants. Ainsi commença à se cumuler, d'une génération à l'autre, un savoir qui ne pouvait se transmettre, à cette époque, que de cerveau humain à cerveau humain. Ce fut le point de départ d'un phénomène d'agrégation qui n'a jamais cessé depuis, et qui nous donne aujourd'hui ce patrimoine culturel immense.

Et puis, il y a environ 500 ans, un grand bond en avant a été effectué en termes de diffusion des savoirs et de la culture en général, grâce à l'invention de l'imprimerie. Cette invention permettra d'industrialiser le procédé d'impression sur support physique, et rendre ainsi des textes accessibles à la population en général, alors qu'ils n'étaient auparavant accessibles qu'à certains privilégiés. Ce fut la naissance des livres et journaux tels que nous les connaissons encore aujourd'hui.

Aujourd'hui, non seulement nous avons la possibilité de porter sur soi autant de documents que peut en contenir une bibliothèque de quartier (sur une clé USB, par exemple), mais nous avons également accès à presque tout ce qui est archivé ailleurs sur la planète, et ce à partir du confort de notre foyer.
Il y a 10 000 ans, un individu normal n'avait accès qu'aux œuvres d'art et aux savoirs que pouvaient lui transmettre de vive voix les gens de sa communauté. Aujourd'hui, le patrimoine culturel (arts, savoirs, croyances, théories, etc.) qu'on retrouve sur supports physiques de mémoire (livres, CD, serveurs, etc.) est immensément plus abondant que celui qui se retrouve dans la mémoire vivante de quiconque de notre communauté.

Il n'est donc pas irrationnel de se détourner de nos proches pour plutôt compter sur cette mémoire technologique, aujourd'hui mise en réseau, pour s'abreuver à la culture en général, bien que ce comportement puisse être la cause d'un appauvrissement des contacts humains entre individus d'une même famille ou communauté. La culture ne se propage presque plus de bouche à oreille, mais bien davantage de puces électroniques à nos sens.
Il pourrait difficilement en être autrement, vu l'immensité de ce patrimoine culturel qui s'est accumulé au cours des siècles, et maintenant accessible à tous (du moins ceux qui ont accès à Internet).


Pour gagner à ce jeu, il faut donc savoir séduire chaque client potentiel. Voilà les règles du jeu en ce qui concerne les bidules technologiques, qui servent généralement de support pour des contenus de toutes sortes.
En ce qui concerne les contenus dont ces bidules se nourrissent (musique, vidéos, jeux, films, et sites internet de toutes sortes) les règles du jeu sont parfois semblables, mais plus souvent un peu différentes, mais tout aussi impitoyables. Dans cette bataille des contenus, le nerf de la guerre c'est la visibilité. Souvent (lorsque ces contenus sont accessibles gratuitement ou à très bas prix), les frais de développement et de soutien de ces contenus sont financés par la vente de publicité.

Enfin, un petit mot concernant les contenus publicitaires. De nos jours, plutôt que de mettre l’emphase sur l'efficacité à combler un besoin réel, comme au début du siècle dernier, ou encore, sur l'image ou le prestige d'une marque commerciale, comme dans les années 1980, la publicité tend à s'adresser à l'identité même du consommateur. Elle lui propose des moyens de se faire valoir, ou de rehausser son image ou son style personnel. Et le consommateur finit souvent par céder, justement pour éviter que son identité en souffre (ou se sentir déclassé par rapport à son groupe de référence).

Ce phénomène est bien humain, mais aussi fortement encouragé par la publicité. Et comme la fréquence à laquelle arrivent les nouveautés sur le marché ne cesse de s'accélérer, bien des gens ne cessent de passer d'une nouveauté à l'autre, en prenant soin d'adhérer aux besoins auxquels elles sont censées répondre, afin de bien jouir de leur nouvelle acquisition.
Depuis le milieu des années 1990, il y a une tout autre dynamique qui s'est établie entre l'homme et ses supports de mémoire. Avant la venue d'Internet, l'approvisionnement en contenus des supports de mémoire (du moins ceux destinés à la vente libre) était réservé à une minorité. Qu'il s'agisse de livres, de revues, de journaux, de films, d'émissions de radio ou télé, les auteurs de ces contenus devaient soit avoir préalablement établi leur crédibilité (ou notoriété), soit présenter un contenu capable de séduire un comité de sélection.
Depuis la naissance d'Internet, tout un chacun est en mesure de publier des contenus accessibles à la planète entière. À peu de choses près, on peut dire que nos supports de mémoires et nos moyens de diffusion sont maintenant à la disposition de la culture telle qu'on l'entend en anthropologie, alors qu'avant internet elle n'était qu'à la disposition de la culture artistique (en assumant que le journalisme serait un art).

Il faut cependant se garder de suggérer que le simple citoyen sans statut particulier ne peut que faire du bruit de fond sur ces réseaux. On à déjà vu qu'une simple photo publiée sur YouTube par un citoyen lambda pouvait finir par incriminer un ou des policiers, par exemple. Et tout ce débat via Internet sur le projet de charte des valeurs du gouvernement québécois, ce n’est rien de moins que de la démocratie participative.
Tout au cours de l'histoire, à chaque fois qu'est apparu un nouveau support de mémoire, il y a eu des gens qui se sont inquiétés à propos des conséquences qu'il entraînerait. Par exemple, lorsque s'est présenté le livre, il y a 500 ans, certains se sont inquiétés à savoir que la capacité de récit verbale de l'être humain (bien développé à l'époque) peut s'atrophier.


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