Pourquoi l'argent peut-êrte une source de conflit dans un couple
Le rapport sur celui-ci nous en dise long sur notre comportement.
Lorraine
Pourquoi y a-t-il des riches pingres et des pauvres dépensiers ? Parce que notre relation à l’argent ne dépend pas de nos revenus mais de notre personnalité.
Isabelle Taubes
Un sou est un sou, avance un vieux dicton. Pas si simple, répond la psychanalyse. Car, dans le psychisme, l’argent a valeur de langage. Il sert à exprimer nos désirs, nos sentiments – tendres ou agressifs – et traduit notre relation à la vie. Il est des riches pingres et des pauvres dépensiers. Défiant les lois de l’économie, notre manière de dépenser est très souvent sans rapport avec nos revenus réels. En témoigne la diversité de nos comportements face à l’argent. Il y a ceux qui économisent et ceux qui ne peuvent s’empêcher de jeter leur argent par les fenêtres. Ceux qui réfléchissent des heures avant de signer un chèque et ceux qui sont toujours prêts à se faire plaisir. Ceux qui hésitent longuement entre la plaquette de beurre ordinaire à 8 francs et celle, artisanale, à 12 francs, comme si ces quatre francs de différence étaient autant de millions. Notre subjectivité est si impliquée que l’on en vient à se demander si un rapport " normal " à l’argent est possible.
Psychologues et psychanalystes s’accordent pour repérer un certain nombre d’attitudes types susceptibles de rendre compte des motivations qui nous incitent à l’avarice, à la dépense ou au mépris proclamé de l’argent. Oui, notre relation à l’argent en dit long sur ce que nous sommes.
Les adeptes de la rétention
Dans l’entourage d’Etienne, nul ne sait combien il gagne. En revanche, dès qu’il s’agit d’évoquer le coût de la vie, les factures à payer, il se révèle intarissable. Sa préoccupation majeure : faire croire qu’il est pauvre. Un ami évoque devant lui un problème financier, aussitôt il fuit : pas question de risquer qu’on lui demande de l’argent… Etienne s’obstine à conserver son bien avec le même acharnement qu’un constipé retenant les produits de son intestin.
Les comportements de rétention (du verbe " retenir ") – dont l’avarice est le plus représentatif – sont dictés par le besoin d’accumuler ou de conserver son capital intact. " Les adeptes de la rétention adorent l’argent dans la mesure où il est symbole de pouvoir, constate Elisabeth Martin, psychothérapeute. Beaucoup sont d’ailleurs convaincus que l’argent résout tous les problèmes. Leur désir premier est de maîtriser le monde, de dominer psychologiquement leurs amis, leur famille, leurs associés et leurs employés s’ils sont chefs d’entreprise. Mais leur crainte d’en manquer finit par les rendre eux-mêmes esclaves, dépendants de l’argent. "
On observe aussi chez les tempéraments rétenteurs le plaisir secret de compter et recompter : chaque sou économisé est pour eux une victoire. Rien ne les réconforte davantage que sortir d’un magasin sans n’avoir rien acheté. Ils testent ainsi leurs capacités d’autocontrôle.
Le besoin de conserver son avoir peut également dériver d’une insécurité de base, d’un manque de confiance en soi. L’argent sert alors de repère pour se diriger dans l’existence. Pour apaiser son angoisse de l’avenir, Cédric gère étroitement son budget, frustrant sa famille, se privant de satisfactions qu’il pourrait s’offrir sans problème. En agissant ainsi, la lecture de son relevé de compte lui occasionne toujours un vif soulagement. Ouf, il lui reste plus qu’assez ! Car il faut tout prévoir : et s’il tombait brutalement malade, s’il se retrouvait soudainement au chômage, si… " En tout cas, si, dans ce pays, plus de gens agissaient comme moi, il y aurait moins de SDF ", répond-il à ceux de ses amis qui critiquent son comportement. Lui, au moins, on ne le prendra jamais en flagrant délit de découvert : il se sentirait trop vulnérable. Dans son inconscient, être à découvert équivaut à être nu.
Les tempéraments dilapidateurs
Plus Camille se sent oppressée, plus elle joue de la carte Bleue : " Ça me calme. Autrefois, j’étais boulimique et la nourriture m’apaisait de la même façon. " " Beaucoup d’adeptes de la dépense sont des anxieux ", confirme Gérard Louvain, psychothérapeute. Sans être des acheteurs compulsifs, nombreux sont ceux qui, en période de déprime ou d’angoisse, succombent à l’appel de l’achat. Ils se délestent de leur argent pour alléger le poids qui les oppresse – tourments intérieurs, angoisse devant le futur…
Face aux dilapidateurs anxieux, il y a les cigales aveugles qui préfèrent ne pas se voir dépenser. " Le calcul, ce n’est pas mon fort, se justifie Mireille. Et puis, je préfère ne pas savoir où j’en suis dans mes comptes. " De nombreuses cigales paraissent insouciantes au point qu’on envie leur désinvolture. Pourtant, " cette attitude résulte le plus souvent d’un désir inconscient de s’aveugler, de ne rien savoir, par peur de l’avenir, explique Gérard Louvain. S’abstenir de penser à ses dépenses revient à se protéger. " Mais le goût de la dilapidation peut aussi être l’effet d’un désir agressif de faire payer l’autre. C’est le cas d’Aline qui, à 26 ans, ne se soucie guère que son compte soit ou non approvisionné avant de signer un chèque : " Je m’offre systématiquement ce dont j’ai envie, mais travailler, gagner de l’argent, il n’en est pas question, ça m’angoisse. Ma mère subvient à mes besoins, paie mon loyer, mes factures. Je n’ai pas demandé à vivre, qu’elle me prenne en charge n’est que justice. "
Toutefois, gardons-nous des généralisations hâtives. Il existe aussi des cigales qui désirent simplement jouir des plaisirs matériels de l’existence et choisissent sciemment de risquer un léger découvert. " C’est mon plaisir avant tout, assume Christian. On n’a qu’une vie, il faut en profiter. " Si le fait de dépenser sans jamais tenir compte de ses revenus réels marque un infantilisme persistant, savoir se faire plaisir dans la limite du raisonnable est, à l’inverse, une preuve de maturité. Les tendances à la dilapidation peuvent également être le fruit d’un désir inconscient d’autopunition. C’est le cas de ceux qui investissent frénétiquement, et en pure perte, comme si une malédiction leur interdisait de faire fructifier leurs gains, explique le psychanalyste Smiley Blanton (1). Le besoin de s’autopunir habiterait aussi l’âme des joueurs : " En apparence, ils veulent engranger l’argent sans se fatiguer. En réalité, ils désirent le perdre. C’est pourquoi ne s’arrêtent-ils presque jamais quand ils ont gagné. "
1- “The Hidden Faces of Money“, Prentice-Hall, 1959, in “Psychanalyse de l’argent“, Ernest Borneman, Puf, 1978.
Les dessous de la générosité
Le mari de Jeanne a le cœur sur la main. " Au début, ses cadeaux me comblaient : c’était des preuves d’amour. Mais, aujourd’hui, quand j’essaie de faire entendre à Patrick que j’ai besoin de mots affectueux, de tendresse, et que lui me tend son portefeuille : “Offre toi ce que tu veux, ma chérie”, je deviens furieuse. Et si je me plains, il s’offusque : “De quoi parles-tu ? Tu ne manques de rien !” "
" Avoir en permanence la main au portefeuille est souvent une façon d’acheter l’amour et l’estime de ses semblables en donnant le minimum de soi-même, commente Gérard Louvain. Les généreux excessifs sont souvent mûs par un sentiment de culpabilité. D’où la multiplication de comportements réparateurs visant à se dédouaner. " La vraie générosité est rare. Elle appartient à ceux qui savent donner sans l’arrière-pensée de s’attacher celui à qui ils donnent.
L’éloge de la pauvreté
" Je ne supporte pas qu’on accorde autant d’importance à l’argent, se plaint Delphine. La véritable richesse est en soi. " Pourtant, au fil de la conversation, on s’aperçoit que sa position ascétique lui est davantage dictée par l’angoisse d’entrer dans l’arène de la compétition professionnelle et par la peur de gagner de l’argent, que par des convictions anticapitalistes.
Julia Cameron et Mark Bryan, auteurs de “L’argent apprivoisé : de la dépendance à la liberté d’être“ (2), expliquent : " Se positionner en marge du système et s’en enorgueillir, occuper la place du censeur vertueux qui condamne les excès de ses contemporains, marquent un refus ou bien de devenir adulte et de prendre ses responsabilités en modifiant un fonctionnement social que nous méprisons, ou bien d’accepter le monde tel qu’il est. " Avoir peur de l’argent, c’est avoir peur de grandir.
2- Editions Dangles, 1994.
L’anorexie monétaire
Selon Cameron et Bryan, certains ascètes seraient des anorexiques de l’argent. Cette " pathologie " se manifeste par deux tendances contradictoires : le désir d’avoir de l’argent et simultanément un sentiment de honte empêchant d’accéder à celui-ci. Ses principales manifestations sont l’incapacité à s’enrichir, à demander une augmentation de salaire, à exiger le remboursement d’une somme prêtée… Et, surtout, une impossibilité à se faire plaisir sans éprouver de remord. Pour se rassurer, l’anorexique monétaire se ment à lui-même, affirmant qu’il ne veut pas d’argent et que le sacrifice est, pour lui, la joie suprême.
Pourtant son handicap peut lui coûter cher. " Alors que j’en ai les moyens, il m’est impossible de dépenser 1 000 francs pour une robe ", confie Sophie. Et de constater : " En général, sortie du magasin, je m’aperçois que je n’ai fait aucune économie ; au contraire, je me suis refusée la jolie robe qui me tentait pour en acheter trois à bon marché qui me plaisent moins et qui, finalement, m’ont coûté plus cher. "
Ce résultat révèle le problème de fond de l’anorexique monétaire. Il souffre d’un fort sentiment de culpabilité inconscient qui le pousse à l’autopunition : en se refusant les plaisirs convoités... tout en " payant ". Car finalement, à force de restrictions, il en vient paradoxalement à dépenser davantage qu’il ne l’avait escompté.
Savoir jouir de l’argent
" Avoir un rapport sain et mature à l’argent, c’est s’estimer suffisamment pour en gagner sans honte et en profiter sans culpabilité, affirme Smiley Blanton. C’est s’autoriser à l’occasion des plaisirs futiles. Une maîtresse de maison qui, de temps en temps, achète pour le dîner des spaghettis au lieu de côtes d’agneau et s’offre avec la différence un bouquet de fleurs ou une place de cinéma est une femme plus saine et plus heureuse que celle qui, par souci de l’avenir ou par esprit de sacrifice, se refuse constamment tout plaisir. " Vivre au-dessus de ses moyens ? Pourquoi pas, répond le psychanalyste, l’attitude la pire étant la privation ! En effet, se priver revient à fuir la vie et son propre plaisir. C’est dire si une relation saine à l’argent suppose au préalable une relation saine à soi-même.
Comment vous voit votre banquier
Votre relation à l’argent détermine vos relations avec la banque : c’est le résultat d’une étude menée par les Banques Populaires et dirigée par Dominique Tulasne sur la "représentation sociale de la banque", où trois profils de clients ont été dépistés.
- Le confiant : pour lui, l’argent est un outil. Il accepte donc naturellement de payer les services qu’offre sa banque s’ils lui permettent de mieux utiliser cet outil. Après tout, la banque est une entreprise comme les autres.
- Le prudent : il considère que l’argent est une sécurité et la banque, un gardien. Le banquier n’est plus un simple commerçant, il est le bon papa qui doit protéger son petit... sans abuser de cette autorité.
- Le critique (20 % de la population) : il est catégorique, l’argent n’est qu’un moyen d’exploitation des autres. Toujours soupçonné par son client, le banquier adoptera une démarche pédagogique pour calmer, à force d’explications, les conflits latents.
Témoignages
Myriam, 33 ans : Penser à l’argent, c’est vulgaire
" Je viens d’une “grande” famille pour qui gagner de l’argent est synonyme de vulgarité. Tout en refusant d’obéir à cette morale, j’en suis quand même imprégnée. Je suis soulagée d’avoir trouvé un poste au CNRS : ici, je n’ai pas à penser à l’argent. Mon salaire tombe à la fin de chaque mois. "
Alain, 40 ans : Ma femme doit me dire précisément ce qu’elle compte acheter
" Quand mon épouse me demande de l’argent pour les courses, j’ai besoin qu’elle me dise précisément ce qu’elle compte acheter et ce que chaque marchandise va coûter. Si je lui donnais directement un billet de 500 francs, j’aurais l’impression de me faire avoir. "
David, 33 ans, Plus on en a, plus on en veut
"J’ai toujours eu envie d’avoir beaucoup d’argent, mais pas en gagnant au Loto : en travaillant dur. Mais plus on en a, plus on en veut. Résultat : mon travail empiète de plus en plus sur ma vie privée."
Sylvie, 52 ans : Régler l’addition, c’est une sensation de puissance
" Je préfère les hommes qui gagnent moins que moi. Quand, au restaurant, je sors ma Carte Bleue pour régler l’addition, j’éprouve une réelle jouissance, une sensation de puissance. "
Lydia, 28 ans : Quand j’angoisse, je me crispe sur mon porte-monnaie
" Quand tout va bien, je suis plutôt généreuse. Mais quand j’angoisse, je me crispe sur mon porte-monnaie. Récemment , une copine m’a demandé de lui avancer 100 francs. Prétextant un découvert, j’ai refusé. Après coup, j’ai eu honte. "
Myriam, 38 ans : L’essentiel : ne pas dépendre des autres
" Je me moque d’être riche : l’essentiel est d’avoir suffisamment d’argent pour ne pas dépendre des autres. L’argent, c’est l’autonomie, la liberté. "
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