Un jour, j’irai vivre en Théorie parce qu’il paraît qu’en Théorie, tout va bien. (Les mots surpendus)

mardi 18 octobre 2011

L’indignation n’est que le commencement


Alors que des « indignés » occupent les rues un peu partout dans le monde, nombreux sont ceux qui dénoncent ou rient de ce mouvement naissant. Certains le font, évidemment, parce qu’ils ont intérêt à ce que ce système dont ils profitent ne change pas. Mais pour d’autres, ce mépris parait étonnant, dans la mesure où il provient de personnes partageant pour la plupart cette même indignation.
Ainsi, le mouvement des indignés serait trop bobo, trop gauchiste, trop naïf, trop pacifique, trop inutile. Certes, il s’agit là d’une vérité. Mais ce pessimisme et ce sectarisme sont-ils pour autant une solution ?
Le cas Zemmour
Pour exemple, voilà maintenant plusieurs chroniques que le journaliste Eric Zemmour consacre aux indignés. Et le chroniqueur n’est pas tendre avec ceux qu’il considère comme les disciples du sénile « papy Hessel ». Selon lui, « l’indignation n’est pas la révolte, encore moins la révolution. Elle est un cri de désespoir et ne mène à rien ».

Quelles sont les raisons qui poussent M. Zemmour, pourtant pas le journaliste le plus tendre avec le système actuel, à rejeter ainsi ces Indignés ?
Selon ce dernier, cette indignation légitime (il partage le point de vue selon lequel 20 ans de mondialisation ont permis à ces 1% d’oligarques d’accaparer les richesses des 99% restant) est pourtant loin de faire trembler le système, qui, au passage, « rit de ces manifestations qui sont comme des boxeurs frappant dans le vide ». Le caractère pacifiste – et passif – de ces mouvements de protestation réduit cette indignation à « un cri dans le désert », ou l’art de s’indigner le cul par terre.
Aussi, la situation n’est pas la même qu’elle l’a été pour les peuples arabes ou encore pour les sujets du roi de l’ancien régime. Comme le rappelle le chroniqueur, « le romantisme révolutionnaire a besoin de tyran, de répression, de mort exemplaire à venger ». Si la répression est, dans une certaine mesure, bien présente (les matraquages observés à New York montrent que l’Occident n’a pas de leçons à donner à la Syrie ou à l’Iran), le reste manque.
Contre qui se battent les Indignés ? Tout le monde, et personne à la fois. En tous cas, personne en particulier. « Plus de rois qu’on peut emprisonner et guillotiner, plus de 200 familles qu’on peut identifier et chasser, plus même de fortune qu’on peut saisir et confisquer. » Le système actuel est ainsi fait que les responsables et les tenants des manettes sont pour la plupart anonymes, lointains, apatrides, et de ce fait, difficilement identifiables. Tout comme l’argent d’ailleurs, qui est, selon Zemmour, « un monarque volatile, désinvolte et méprisant, qui joue à saute-frontière en un clic d’ordinateur ».
Alors, comment se battre quand on n’a pas d’adversaire ? Car c’est un peu le cas des Indignés, et de tous ceux qui se sentent concernés par cette indignation naissante. Pour l’instant, polie et stagnante, elle ne mène nulle part. Personne n’est là pour théoriser le que faire ? Révolutionnaire. D’autant que de révolution, il n’y a pas encore.
« Qu’est-ce que vous faites ? Qu’est-ce que vous avez prouvé ? Quel gouvernement avez-vous renversé ? Quelle proposition avez-vous mise en œuvre ? Il faut arrêter. L’indignation c’est bien, mais ce n’est rien du tout. C’est le vide intersidéral ! » lançait le journaliste à l’un de ces naïfs Indignés qui, justement, n’avait rien trouvé de mieux à faire que de s’en prendre à lui, comme s’il était le mal absolu, à combattre avant le reste.
Ainsi s’explique l’éternel pessimisme d’Eric Zemmour et de bien d’autres personnes ne se sentant pas représenté par ce mouvement, à forte tendance bobo-gaucho – admettons-le.
Philippe Sage, posteur sur AgoraVox, allait également dans ce sens, et à raison : « A bien y regarder, en ce mouvement Indigné, point d’ouvriers, de prolos, de chômeurs (ou alors deux ou trois), d’exclus, de virés, de délocalisés, de pauvres, et même de classes populaires. Comme on le constate, chaque jour que Hessel fait, sur nos écrans rapala-plats ». Et de rajouter : « Vos manifestations, sages, propres, dites Indignées (alors que c’est Révoltés qu’il conviendrait d’être) sont celles, je le maintiens, des quartiers épargnés. Celles des confortables. Celles des “Allo Maman Bobos”. Ni plus, ni moins. Il n’est pas loin, le Café de Flore, mon Indigné. »
« La misère, vous ne savez pas ce que c’est. Sinon, croyez-moi, ça se verrait ». Comment lui donner tort ? Pour autant, il convient de se demander si cette indignation imparfaite et non représentative doit être méprisée pour autant.
Vers un passage à l’étape supérieure
Depuis la naissance des Indignés espagnols le 15 mai dernier, notamment à la Puerta Del Sol, on n’avait jamais connu pareil mouvement depuis bien longtemps en Occident (outre mai 68 qui, il faut le rappeler, n’a eu pour seul effet que de faire virer un Grand Homme libre et le remplacer par des serviteurs soumis). C’est la première fois qu’un mouvement d’une telle ampleur dénonce les systèmes politiques, sans affiliation à aucun parti (malgré une tentative de récupération de l’ultragauche en France). Il a connu une exportation rapide et de grandes ampleurs malgré le silence complice des médias, et, pour l’Espagne, il est le mouvement social le plus important depuis la chute du franquisme.
Mais surtout, malgré ses nombreux défauts (forte présence bobo, naïveté gauchiste sur la régularisation des sans-papiers et l’internationalisme, idiot utile du Capital…), il a néanmoins le mérite d’avoir posé, dans le débat public, de réelles questions : dérive oligarchique, démocratie réelle, démocratie directe, critique du système financier, etc., et ne s’est pas trompé d’endroit pour le faire (le mouvement Occupy Wall Street a établi son campement non loin du cœur névralgique de la finance américaine).
La situation est à ce point critique que toutes les bonnes volontés devraient être les bienvenues. Force est de constater, au vu des critiques précédentes, que ce n’est pas le cas. Mais plutôt que de tuer le projet dans l’œuf, en raison de ses nombreuses imperfections, pourquoi ne pas le soutenir et inviter, justement, les autres à s’y joindre ? D’autant qu’il est certain que tous les opposants à ce système – qu’ils soient patriotes, gauchistes, altermondialistes, etc. – partagent nombre de constats, et que des compromis pourraient être faits. Encore faut-il avoir recours au dialogue et au respect mutuel, ce qui est une autre histoire…
Quoi qu’il en soit, si l’on prétend s’opposer à ce système, d’où qu’on vienne, quoi qu’on pense, il faut trouver la volonté d’abandonner le sectarisme et de se rassembler pour, pourquoi pas, faire passer cette indignation jugée « inutile » à l’étape supérieure. Car ces mouvements d’indignation ne sont que les prémices d’une ère nouvelle, ou, selon le point de vue, le début de la fin d’une autre. Aujourd’hui, le mouvement est lancé. Poursuivre en ce sens ou reculer, le choix nous est donné.
Christopher Lings
Images : “Anonymous – Guy fawkes mask / flickr” | “Capture d’écran dailymotion / RTL

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