Un jour, j’irai vivre en Théorie parce qu’il paraît qu’en Théorie, tout va bien. (Les mots surpendus)
dimanche 6 octobre 2013
Notre cerveau est génial et on ne le sait pas
On sait que c’est l’entité la plus complexe de l’univers connu. Mais les découvertes se multiplient et font exploser tous les schémas. Notre cerveau est bien plus élastique que prévu, ses neurones peuvent même repousser. Et il fonctionne en wifi, relié aux cerveaux des autres.
Contrairement à une vieille idée reçue, le cerveau continue de se régénérer, même à un âge avancé.
Toute expérience physique ou psychique renouvelle le réseau neuronal.
Notre cerveau travaille en permanence, et à notre insu, à 100 % de ses capacités.
On sait que c’est l’entité la plus complexe de l’univers connu. Mais les découvertes se multiplient et font exploser tous les schémas. Notre cerveau est bien plus élastique que prévu, ses neurones peuvent même repousser. Et il fonctionne en wifi, relié aux cerveaux des autres. Combiner ces deux approches révolutionnaires, c’est admettre que l’Homo sapiens peut modifier lui-même sa structure – et donc que le monde n’est pas forcement fichu ! Cela dit, notre cervelle ne pourra-t-elle jamais percer entièrement ses propres mystères ? Les découvertes récentes sont en tout cas spectaculaires
1, un cerveau plastique qui peut voir avec la peau
L’idée de plasticité corticale et neuronale ne figure dans aucun programme de médecine avant les années 1990 : les premiers qui en parlent sont ridiculisé, tels Paul Bach-y-Rita et son frère George, deux médecins hors norme qui, à la fin des années 1960, réussissent à sauver leur père, un professeur de tango paralysé par un accident vasculaire cérébral (AVC) et que les neurologues disaient condamné. Après un an d’exercices acharnés, le vieil homme danse de nouveau. À sa mort, six ans plus tard, ses fils le font autopsier et découvrent, stupéfaits, qu’une bonne partie des nerfs reliant son cortex à sa moelle épinière avaient été détruits par son AVC : sa guérison a donc reposé sur l’optimisation des quelques liaisons neuronales restantes. Le psychiatre canadien Norman Doidge en fait le récit fantastique dans « Les Étonnants Pouvoirs de transformation du cerveau » (Belfond, 2007).
Certes, nos lobes corticaux sont spécialisés : les images visuelles sont traitées à l’arrière de notre crâne ; nous entendons et parlons « sur les côtés » du cerveau (grâce aux aires de Broca et de Wernicke) ; nous prêtons attention et analysons avec nos lobes frontaux. Mais la répartition par zones fonctionnelles peut se modifier. Sous la pression d’une urgence et d’une motivation intense, une zone peut même remplir la fonction d’une autre. La démonstration la plus frappante de cette « suppléance corticale » nous vient des appareils inventés plus tard par Paul Bach-y-Rita : ils permettent à des aveugles de « voir » avec leur langue ou la peau de leur dos en stimulant, à l’aide des pixels émis par une caméra, la zone de leur cerveau en principe destinée aux perceptions tactiles. Conclusion ? Si un humain peut apprendre à « voir par la peau », c’est que notre cerveau est un organe vraiment plastique !
Le psychiatre Christophe André, qui a introduit la méditation à l’hôpital Sainte-Anne, tempère cependant cet enthousiasme : « Guérir d’un trouble neurologique ou psychique n’est pas brusquement devenu facile. En tant que clinicien, les nouvelles découvertes me disent que la neuroplasticité est réelle, mais qu’elle exige beaucoup de travail de la part du patient. »
2, des trillions de milliards de réseaux neuronaux
Imaginez ce que vous portez dans le crâne : cent milliards de neurones, chacun doté de mille à dix mille connexions, assisté de centaines de milliards de cellules gliales (qu’on a longtemps prises pour un «bourrage » sans importance, mais qui pourraient jouer un rôle crucial), le tout relié électriquement et chimiquement grâce à une centaine de neuromédiateurs. Fermez les yeux et pensez au visage d’un être cher. Le voyez-vous ? Vous venez juste d’allumer un réseau de quelques dizaines de millions de neurones. Les trillions de milliards de réseaux possibles forment une entité en reconstitution permanente. Une vraie jungle vivante : les neurones colonisent, au sens propre, tout territoire vacant. « Et si nous perdons un neurone par seconde, nous savons désormais que de nouveaux neurones naissent constamment dans une zone appelée “subépandymaire”, d’où ils migrent dans tout le tissu cérébral », explique le Pr Bernard Mazoyer, qui dirige le Groupe d’imagerie neurofonctionnelle de Caen.
De nouveaux neurones ? Même chez les adultes et les seniors ? Un dogme colossal s’écroule, qui prétendait la chose impossible. « Mais le plus important, poursuit Bernard Mazoyer, ce ne sont pas tant les nouveaux neurones que les nouvelles connexions. Un neurone ne devient opérationnel que si ses dendrites se mettent à pousser, le reliant par des synapses à d’autres neurones. » Qu’est-ce qui fait pousser les dendrites, ces sortes de tentacules ? Le désir, l’affection, l’interrogation, la réflexion, l’action, la volonté : oui, vous pouvez décider de connecter vos neurones ! Qu’est-ce qui détruit ces derniers ? L’âge, le stress, la pollution, certaines maladies, mais surtout la passivité : un neurone s’use et meurt beaucoup plus vite si l’on ne s’en sert pas ; ses synapses se rabougrissent et finissent par se détacher, le mettant hors-jeu. À l’inverse, apprendre, aimer, agir, méditer, rend nos neurones vigoureux. Et l’on sait désormais que toute expérience, physique, émotionnelle ou mentale, fait naître ou remodèle en nous un réseau neuronal.
Boris Cyrulnik raconte : « Ces idées provoquaient des éclats de rire. C’est pourtant bien la plasticité neuronale qui explique, dans le sens négatif, les atrophies cérébrales des enfants abandonnés et, dans le sens positif, la possibilité d’une résilience. » Et le neuropsychiatre toulonnais de brosser l’image terriblement émouvante de neurones d’enfants « ramollis » par l’abandon et qui, sous l’influence d’une nourriture affective, même tardive, se connecte les uns aux autres en autant de nouvelles synapses : « L’irruption de l’amour, dit-il, fait littéralement pousser les dendrites, comme des tiges de blé jaillissant d’une terre soudain arrosée. »
3, à plein régime et en permanence
Une autre idée reçue s’est effondrée, selon laquelle nous n’utiliserions qu’une fraction de nos capacités cérébrales. « D’un point de vue neurologique, c’est archifaux, explique le Pr Bernard Mazoyer. Notre cerveau travaille à 100 % de ses capacités et sans réserve d’énergie, que l’on soit éveillé ou endormi. Mais seulement 1 % de cette activité est “cognitive”, c’est-à-dire accessible à la conscience. Donc tout ce qui nous sert à penser, parler, inventer, décider ou bouger ne prend que 1 % de l’énergie cérébrale. Le cerveau se sert des 99 % restants pour confirmer et reformater sans interruption, à sa guise, tous nos réseaux neuronaux. C’est ce que nous appelons le “fonctionnement cortical par défaut”. »
Nous savions que notre vision du monde était à 100 % interprétée par notre cerveau. Nous ignorions que ce dernier retravaillait en permanence, à notre insu, tous nos réseaux, donc tous nos souvenirs. Observer ce « fonctionnement par défaut » n’est possible que grâce aux dernières techniques d’imagerie à résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) et ouvre des boulevards de questions. Cette sorte d’inconscient cérébral est-elle régulée par un chef d’orchestre ? On n’en sait rien, malgré l’émergence de cartographies inédites. On en a seulement une vague intuition en plaçant dans un scanneur des étudiants qu’on invite à « ne penser à rien ». Interrogés plus tard sur leur ressenti, ils donnent une idée de la « tonalité » de l’inconscient cérébral. Après-coup, certains disent avoir plutôt perçu des sons, d’autres plutôt des images. Ce qui signalerait donc deux types de cerveaux : les plutôt visuels et les plutôt verbaux, les seconds ayant plus de pouvoir de plasticité volontaire que les premiers.
Une chose est sûre : nos réseaux de neurones sont à la fois stables (sinon vous ne sauriez plus qui vous êtes en vous réveillant) et mouvants (réveiller un souvenir, c’est aussitôt en modifier le réseau). La science de ces réseaux n’en est qu’à ses débuts. Le XX1e siècle vivra en la matière, à coup sûr, des découvertes prodigieuses. Cette science approfondira certainement la loi de Hebb, qui dit que stimuler un fragment de réseau neuronal l’allume tout entier. Psychologiquement, c’est l’« effet Zeigernick » : s’il voit un fragment de forme, notre cerveau la complète, comme s’il avait horreur de l’inachevé. Ce qui confirme la théorie de la Gestalt : voir un minuscule bout de visage vous suffit pour reconnaître quelqu’un… ou croire le reconnaître. Cela peut expliquer beaucoup d’hallucinations : pensez à tout ce que l’on croit voir dans les formes d’un nuage, d’un feu ou d’un gribouillage : c’est votre cerveau qui complète, interprète, invente.
4, un organe social qui se nourrit des relations avec les autres
L’idée d’une « intelligence relationnelle » n’est pas neuve. Le psychologue Edward Thorndike en parlait déjà en 1920. Mais ce n’était qu’une intuition. Les récents et fulgurants progrès de l’imagerie corticale ont permis de la confirmer scientifiquement. Désormais, les neuropsychologues voient le cerveau comme un organe « neurosocial ». Selon eux, la sélection naturelle a favorisé les cerveaux altruistes. Grâce à nos « neurones-miroirs », nous ressentons la souffrance de l’autre et, en le secourant, nous cherchons à nous soulager nous-mêmes. Le gros problème de notre époque, c’est que ce mécanisme de survie groupal s’est bloqué : bombardés d’informations terribles, il nous faudrait être Superman pour répondre à toutes les invitations à la compassion. Résultat : les enfants deviennent ultra violent de plus en plus jeune, la vie sociale directe (avec contact physique) est en régression, l’indifférence nous gagne face aux souffrances d’autrui. Sommes-nous condamnés à disparaître par régression de notre « cerveau social » ? Auteur du best-seller « Cultiver l’intelligence relationnelle » (Robert Laffont, 2009), le psychologue Daniel Goleman prévient : « L’enjeu crucial du XX1e siècle sera d’élargir
le cercle de ceux que nous considérons comme “nous” et de réduire le nombre de ceux qui nous apparaissent comme “eux”. Quand il est épanoui, notre cerveau social nous relie à toute l’humanité. »
5, les relations amoureuses du cortex
Les neuropsys américains ont beaucoup étudié la relation amoureuse, de la tendresse à la scène de ménage. Sous scanneur, la « neuroanatomie d’un baiser » révèle que les cerveaux des deux amoureux se synchronisent. La mise en résonance des aires orbito-frontales de leurs cortex préfrontaux a des effets positifs forts : baisse du taux de cortisol (indicateur du stress) et montée des anticorps, gardiens du système immunitaire. On constate d’ailleurs des effets aussi positifs quand les amants se regardent juste dans les yeux – et c’est vrai, dans une moindre mesure, entre amis, parent et enfant, thérapeute et patient. À l’inverse, une dispute conjugale a des effets négatifs : la fonction cardiovasculaire entre en souffrance et les taux immunitaires baissent. Si les disputes se répètent souvent, les dommages deviennent cumulatifs.
Cela dit, hommes et femmes ne réagissent pas de la même façon aux interactions avec autrui. Au repos, les réseaux neuronaux des femmes ont tendance à passer en revue leurs derniers échanges relationnels (amoureux ou pas). Ceux des hommes le font aussi, mais avec beaucoup moins d’énergie. En moyenne, le cerveau de la femme est en effet plus « social » que celui de l’homme, et donc plus dépendant de la qualité des relations de l’existence. Résultat : la femme souffre plus que l’homme d’une vie relationnelle médiocre (conjugale ou autre), mais elle profite davantage d’une relation de qualité.
6, la conscience, une entité indépendante ?
La conscience est-elle produite par le cerveau, ou existe-t-elle en soi ? La question était déjà débattue du temps de Lucrèce et relève d’un débat philosophique entre matérialistes et spiritualistes. Cela dit, les nouvelles découvertes alimentent ce débat de façon inédite. Une expérience frappante avait déjà été menée en 1998 par le neurologue Matthew Botvinick, de l’université de Princeton.
Imaginez qu’on camoufle votre bras droit sous la nappe et qu’à côté de votre main gauche posée sur la table, on place une fausse main droite en caoutchouc que quelqu’un caresse, tandis que, sous la table, on caresse aussi la main cachée. Au bout d’un moment, vous avez la sensation que la main en caoutchouc est à vous, au point de ressentir quelque chose quand on ne caresse qu’elle. Mieux : le 6 décembre 2011, l’Australien Lorimer Moseley, de l’université d’Adélaïde, a révélé que ce ressenti illusoire faisait chuter l’immunité du bras caché, autrement dit que celui-ci n’était plus considéré par le cerveau comme une partie du corps ! Notre aptitude à différencier le moi du non-moi, base de notre conscience, peut donc être influencée par un trompe-l’œil. Mais alors, si une subjectivité pure peut tromper le cerveau, n’est-ce pas que la conscience est indépendante de celui-ci ?
7, le cerveau droit est un grand mystique
Un matin, au réveil, Jill Bolte Taylor est victime d’un AVC. Brillante neuroanatomiste de Harvard, elle peut suivre, terrifiée, les effets progressifs de l’arrêt de son cerveau gauche où s’est produite l’hémorragie. Le cerveau gauche coordonne nos fonctions conscientes supérieures : langage, calcul, analyse, sentiment du moi. Ces capacités la quittent. Elle veut appeler à l’aide, mais ne sait plus se servir d’un téléphone. Pourtant, elle se souviendra de tout, notamment de son extase. Car, malgré la douleur, Jill constate que son cerveau droit, lui, fonctionne mieux que d’habitude : en effet, le gauche ne le contrôle plus. Le cerveau droit coordonne nos fonctions subconscientes supérieures : sensibilité, intuition, sentiment de participation au monde. Ces fonctions occupant toute la place, Jill connaît le nirvana. Elle vérifie ainsi ce que les neurologues commencent à découvrir à l’époque (on est en 1996), en équipant d’électrodes les crânes de moines qui méditent. Chez des sujets entraînés, la méditation a pour effet de stimuler les zones corticales de la vigilance et d’endormir celles qui séparent le moi du reste du monde. Sauvée in extremis par un assistant, Jill « remerciera » plus tard son AVC – dans « Voyage au-delà de mon cerveau » (JC Lattès, 2008) – de lui avoir fait connaître l’expérience mystique qui a changé sa vie.
Jill Bolte Taylor, sous-titre français par postatheisme source
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