Coup de tonnerre dans la vie politique québécoise. Pierre Karl Péladeau,
ex-patron de presse de choc naguère peu amène avec les syndicats, sera
candidat d’un parti social démocrate. Est-ce normal ?
Toute la vie du Parti québécois dit oui. Et moi qui me réclame de la
gauche efficace souhaite une chaude bienvenue à Pierre Karl dans nos
rangs. Nous avons beaucoup débattu ensemble, en public et en privé, de
tous les sujets: les médias, la culture, le modèle québécois, le
syndicalisme, le hockey, l’entrepreneuriat, mais surtout de la
nécessaire indépendance du Québec. Je peux témoigner de son engagement
et de sa passion pour l’indépendance.
La greffe prendra-t-elle entre lui et le PQ? Un parti qui fut et
reste la locomotive du progrès social (équité salariale, loi
anti-briseurs de grèves, économie sociale, financement du communautaire,
etc), oui. Un parti aussi qui a marqué le Québec par son activisme
économique — Les RÉA, le virage technologique, le déficit zéro,
l’économie du savoir et maintenant l’électrification des transports et
un grand effort d’augmentation de la productivité par le Programme
économique Priorité emploi.
Le fait est que PKP n’est que le nouveau représentant d’une des
pièces fondatrices du Parti québécois: la présence au sein de ce parti
social démocrate d’une aile représentant le centre-droit et faisant la
jonction avec une autre partie de l’électorat.
De Gilles Grégoire à Jacques Brassard en passant par Joseph Facal et
Rodrigue Biron, ce courant a toujours eu sa place au sein d’un
rassemblement dont l’élément rassembleur est la volonté de souveraineté.
Voici, actualisé, ce que j’écrivais il y a quelque temps:
L’histoire n’est pas regardante quand vient le temps de nourrir
politiquement les mouvements indépendantistes. Au sud de notre
frontière, l’indépendance fut une révolte de commerçants, contre le
monopole britannique.
En Amérique latine, tous les mélanges sociaux furent mis en œuvre:
aristocratie locale, populisme, révoltes d’agriculteurs. Au Vietnam, le
nationalisme était communiste. Ailleurs, il s’est nourri de
l’extrême-droite.
Au Québec, malgré des antécédents nationalistes de droite avant 1960,
le mouvement indépendantiste moderne s’est constitué au centre-gauche,
au début de la Révolution tranquille, dans le creuset de la contestation
des ordres établis — anglophones, cléricaux, patronaux, multinationaux.
Le très pragmatique René Lévesque avait compris très tôt que l’effort
de rassemblement nécessaire pour faire passer le Québec du statut de
province à celui de pays exigeait de son nouveau parti qu’il ne soit
prisonnier d’aucune idéologie.
Il refusa donc de se lier de trop près, contrairement à ce qu’avait
fait le NPD, par exemple, aux syndicats qui constituaient pourtant sa
principale base militante. Il exprima sa position plus largement, dans
son habile formule du « préjugé favorable aux travailleurs ».
Mais il tendit la main également vers la droite et la fondation du PQ
se fit dans la fusion du Mouvement Souverainté-Association, de
Lévesque, avec le Ralliement National, créditiste, clairement campé dans
la droite rurale populiste.
Il faut rappeler aussi que Lévesque a beaucoup regretté que le jeune
fiscaliste marié à la richissime famille Simard, un certain Robert
Bourassa, refuse au dernier moment de se joindre à lui.
Ces choix étant faits, il faut encore saluer le pragmatisme de Pierre
Bourgault, alors chef du très socialiste Rassemblement pour
l’Indépendance Nationale, de saborder son parti pour que ses militants
rejoignent, sans condition, un PQ qui tenait à se présenter sous les
couleurs d’une coalition.
Bourgault, comme Lévesque, savait qu’il fallait rassembler, et non
diviser, pour progresser. Le centre de gravité du PQ allait donc être de
centre-gauche, mais son équipe allait toujours faire une place à une
aile de centre-droit. Cette cohabitation allait être parfois malaisée,
mais le plus souvent féconde.
Les membres de la coalition venus de la droite se savaient en
minorité, comprenaient que cette position était systémique, mais
menaient leurs batailles dossier par dossier, avec suffisamment de
victoires pour les satisfaire et se maintenir dans la coalition.
Cet équilibre, qui peut prendre plusieurs formes, a permis à l’idée
souverainiste de partir de 6% au début des années 60 et de se rendre à
50% au référendum de 1995. C’est la seule formule gagnante.
Parizeau, homme de gauche ?
On l’oublie aujourd’hui, compte tenu de la pré-béatification dont il
est l’objet dans le mouvement souverainiste, y compris à gauche, mais
l’arrivée du grand bourgeois, diplômé de Londres, professeur aux HEC
Jacques Parizeau dans l’orbite de Lévesque ne fut pas perçue comme une
infusion de gauchisme, bien au contraire.
Lorsque le PQ prit le pouvoir en 1976, la Pravda soviétique qualifia
le parti de « petit bourgeois ». Le ministre des Finances Parizeau
rétorqua: « pourquoi petit? » (Vrai, avant 1976, il avait fait un — bref
— flirt avec l’idée d’autogestion.) De 1976 à 1984, Jacques Parizeau
incarna, avec d’autres, dont la recrue de l’Union Nationale Rodrigue
Biron, l’aile droite d’un Parti québécois alors très actif au
centre-gauche: protection du consommateur, assurance-auto, zonage
agricole, etc.
Mais je me souviens, étudiant de gauche, avoir manifesté contre « le budget des Banques » du ministre Parizeau début 1978.
Devenu premier ministre en 1994 (et ayant la faiblesse de me prendre
comme conseiller), M. Parizeau était très conscient de l’absolue
nécessité d’élargir la coalition souverainiste — dans toutes les
directions idéologiques.
Avec les Partenaires pour la souveraineté, auxquels il tenait
beaucoup, il a consolidé et étendu l’effort sur son flanc gauche —
jusqu’à Françoise David et au-delà. Mais il fut également actif pour
aller recruter à droite, par le mécanisme des Commissions sur l’avenir
du Québec, des anciens ministres conservateurs de Mulroney — Marcel
Masse, Monique Vézina — des anciens libéraux et autant d’entrepreneurs
que possible.
La présence, dans la coalition référendaire, de l’ancien ministre
conservateur, un certain Lucien Bouchard, et du jeune chef d’un parti de
centre-droit, Mario Dumont, n’est pas pour rien dans la capacité de la
plus grande coalition de l’histoire du Québec de porter la nation au
seuil de la souveraineté au soir du 30 octobre 1995.
Le rassemblement péquiste, aujourd’hui et demain
Il y a deux façons d’aborder la construction d’un rassemblement
souverainiste dans la phase historique qui s’ouvre. On peut, comme René
Lévesque et Jacques Parizeau, s’ancrer au centre-gauche mais accueillir
le centre-droit.
Ou on peut adopter l’attitude des leaders de Québec Solidaire et de
refuser de rassembler, rejeter les bonnes volontés venant de l’extérieur
de son strict point de vue idéologique. Françoise David trouve
maintenant « odieuse » la candidature de PKP. Et elle déclare: «jamais
un député solidaire ne s’assoira du même côté de la banquette que Pierre
Karl Péladeau.»
Jamais ? Même s’il veut renforcer la loi 101 ? Même s’il veut
l’électrification des transports (dossier sur lequel il travaille avec
fougue depuis un an) ? Même s’il milite pour l’indépendance ?
L’intransigeance et les excommunications de Mme David ne servent en rien l’indépendance.
Si a vraiment a coeur de créer un pays, on se concentre sur ce qui
rassemble, pas sur ce qui divise (et on ne crée pas un parti politique
indépendantiste de plus, au grand plaisir des fédéralistes).
Rassembler, d’autant que les thèmes imposés par l’actualité et le
travail du Parti québécois ces 18 derniers mois suscitent des appuis qui
vont au-delà des divergences idéologiques:
- L’intégrité: les électeurs de toutes tendances
peuvent juger le PQ à son œuvre de moralisation de la politique et de
l’économie québécoise depuis 18 mois, et à sa détermination de continuer
sur ce chemin ;
-L’identité: l’action du gouvernement sur la Charte
des valeurs et de la laïcité, le français et l’enseignement de
l’histoire transcende la gauche et la droite
-La souveraineté: c’est l’lément rassembleur par définition;
Le gouvernement Marois avance aussi un certain nombre d’améliorations
au modèle québécois dont il hérite et qu’il défend, qui sont en mesure
de rassembler, de Martine Desjardins à PKP, comme il rassemblait hier de
Pierre Bourgault à Rodrigue Biron.
Il s’agit en particulier du nouveau nationalisme économique,
portant en particulier sur un renforcement du rôle de l’État dans la
participation et/ou l’encadrement des ressources naturelles — comme dans
le cas d’Anticosti — , de l’énergie, sur le rôle plus actif de la
Caisse de dépôt dans le développement économique de la nation depuis
deux ans et sur des stratégies de maintien du contrôle québécois de nos
fleurons économiques, comme le recommande un comité mis sur pied par
Nicolas Marceau. Les souverainistes de droite en sont globalement
preneurs.
Le Parti ne doit dans aucun cas être inhibé d’avancer des
propositions progressistes. L’aile droite n’a jamais eu droit de veto
sur les avancées sociales. Mais j’ai été témoin des discussions
fructueuses entre les tendances au sein du PQ pour forger des consensus
qui allaient, ensuite, être plus efficaces et recueillir un accueil
encore plus grand chez les citoyens.
De plus, le dernier budget et la plateforme le démontre, le PQ n’a
pas l’intention de laisser à d’autres les flambeaux de la saine gestion,
de l’innovation et, oui, de la création de la richesse. Le PQ de
Pauline Marois incarne ces méthodes, qui servent son objectif: un pays plus juste/prospère/solidaire/vert et indépendant.
Bienvenue donc à Pierre Karl, forte tête dans une équipe qui n’en
manque pas. C’est toute une addition et ce sera toute une aventure
d’additionner sa fougue et ses propositions à celles, nombreuses et
vivaces, qu’il retrouvera autour de la table des élus.
Pour faire, ensemble, du Québec un pays.
vu ici
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