Son empire lui survivra-t-il ?
C’était hier qu’avait lieu la cérémonie commémorative à la mémoire
de Paul Desmarais, décédé le 8 octobre dernier. Messe célébrée à la
Basilique Notre-Dame, réception au Pavillon Jean-Noël Desmarais du Musée
des Beaux-Arts de Montréal dont les six étages ont été réquisitionnés
pour l’occasion. Un gros événement auquel assistaient quelques 1900
invités.
Dans un geste pour lequel il n’y a sans doute pas beaucoup de précédents dans le cas d’une personnalité non politique, la Société Radio-Canada, son alliée dans la lutte aux velléités indépendantistes du Québec, a même diffusé la cérémonie sur son réseau. C’est sans doute la reconnaissance que Paul Desmarais, bien qu’il n’ait jamais occupé de fonctions officielles dans le gouvernement canadien, en occupait de très importantes à titre officieux.
Il faut dès lors s’attendre à ce que le concert de louanges, qui s’était quelque peu apaisé ces dernières semaines, reprenne de plus belle. Le corbillard étant passé, il devient socialement acceptable d’introduire quelques bémols pour rétablir un peu l’équilibre et jeter sur l’homme et son oeuvre un regard un tant soit peu critique.
Laissez-moi vous raconter...
Charlevoix
En visite familiale au Lac-Saint-Jean à l’occasion des Fêtes l’hiver précédent, j’avais eu l’occasion de rencontrer un beau-frère de mon oncle qui était le professionnel de golf attitré au Murray Bay Golf Club, situé entre La Malbaie et Pointe-au-Pic dans le comté de Charlevoix.
Impressionné par mon air de jeune homme sérieux, mes bonnes manières et ma capacité de m’exprimer couramment aussi bien en français qu’en anglais, il en vint rapidement à me demander si je serais intéressé à être son assistant et à tenir le pro-shop du club l’été suivant. L’occasion était trop belle pour la refuser, et je sautai dessus à pieds joints.
Mes cours terminés, je pris le chemin de La Malbaie. À l’époque, la construction de l’autoroute Jean-Lesage n’était pas encore tout à fait terminée (les derniers tronçons le seraient juste avant l’EXPO 67), et le voyage en autobus d’abord jusqu’à Québec, puis jusqu’à La Malbaie, représentait toute une expédition, doublée pour moi d’une découverte. C’était la première fois de ma vie que je me rendais dans Charlevoix, n’étant jamais allé auparavant plus loin que Ste-Anne-de-Beaupré. .
Les paysages étaient à couper le souffle, et la route aussi. Je garderai toute ma vie le souvenir de cette première descente vers Baie-St-Paul dans un vieil autobus poussif dont on craignait à chaque cahot, et il y en avait alors beaucoup, qu’il ne s’éventre. Les freins gémissaient à fendre l’âme, et une vague odeur de brûlé s’infiltrait dans l’habitacle, suscitant chez les passagers les pires appréhensions.
Au soupir collectif de soulagement à l’annonce de l’arrivée imminente du bus à La Malbaie, je compris que je n’étais pas le seul à avoir ressenti un doute sur l’atteinte de notre destination.
Le temps d’installer mes pénates, j’allais découvrir un univers dont j’ignorais jusqu’à l’existence, celui des gens très riches et de ceux qui leur gravitent autour dans l’espoir fou, mais hélas trop répandu, que la richesse soit une maladie contagieuse. Plus d’un papillon s’est brûlé les ailes à s’approcher trop près du feu.
Paul Desmarais appartenait déjà à la catégorie des gens riches, avec résidence sur le Boulevard des Falaises, à Pointe-au-Pic. Mais il y avait des gens alors bien plus riches, des Américains, les Taft, qui fréquentaient les lieux depuis la fin du 19e siècle, les Cabot de Boston, ou d’autres encore, les barons du caoutchouc ou de l’acier de Cleveland. Les riches arrivaient à Pointe-au-Pic sur les navires de la Canada Steamship. Certains y avaient de superbes résidences, à Pointe-au-Pic ou à Cap-à-l’Aigle, d’autres s’installaient pour la saison au Manoir Richelieu.
Pour ma part, j’habitais chez mon patron et sa conjointe, la soeur de mon oncle par alliance comme on expliquait les choses autrefois, qui avaient loué pour la saison le second étage d’une maison qui donnait tout juste sur le quai de Pointe-au-Pic. Mais ma vie, comme celle de tous les estivants, allait graviter autour du club de golf dont je tiendrais la boutique. Logée dans une cabane tout à côté du « club-house », elle donnait directement sur le « tee » de départ et le champ de pratique.
Mes fonctions comprenaient entre autres l’assignation des caddies aux golfeurs. Ils passaient donc tous dans la boutique avant de partir, et de la fenêtre qui donnait sur l’enclos arrière dans lequel devaient se tenir les caddies, j’avais la délicate tâche d’apparier les caddies aux joueurs selon des critères aussi variés que la séniorité, la connaissance du jeu, l’aptitude des jeunes à comprendre l’anglais et de pouvoir en baragouiner quelques mots au besoin avec un joueur n’ayant aucune notion du français, etc.
J’allais rapidement apprendre qu’autant les joueurs que les caddies avaient leurs préférences, et l’exercice devenait franchement périlleux lorsque elles ne coïncidaient pas. Certains joueurs avaient la cote chez les caddies pour leur largesse, d’autres étaient réputés pour leur pingrerie. Chez les caddies, certains étaient recherchés pour leur connaissance du jeu ou leur courtoisie, d’autres étaient rejetés pour leur jeunesse, leur petite taille ou leur « mauvais genre ».
C’est dans ces conditions que j’allais rencontrer la famille Desmarais, à tout le moins Paul Sr, sa femme Jacqueline et les deux garçons Paul Jr et André (surnommé Andy) qui avaient alors respectivement neuf ou dix ans pour le premier, et sept ou huit pour le second.
Après chaque partie, Paul Sr, qui n’avait jamais un sou dans ses poches, entrait dans la boutique et me demandait de lui prêter l’argent pour payer son caddy. Dûment prévenu de cette habitude, je n’en étais pas moins surpris à chaque fois, tant il me paraissait incongru qu’un homme prétendument si riche en soit réduit à emprunter de l’argent pour des dépenses aussi minimes. J’allais apprendre beaucoup plus tard qu’on ne prête qu’aux riches.
Le Paul Desmarais que j’ai alors croisé parlait peu et s’en tenait au strict minimum dans ses échanges avec moi. Après tout, je n’étais qu’un préposé, et il n’était guère obligé d’en faire plus, même si d’autres que lui savaient se montrer beaucoup plus affables. Ayant appris par la rumeur qu’il était toujours en train de mijoter de nouvelles transactions, je ne lui tenais pas rigueur de sa distance. C’était un homme très occupé, et l’on m’avait enseigné à me faire très discret et respectueux devant ce genre de personnage.
Quant à Mme Desmarais, elle jouait surtout l’après-midi, et passait à chaque fois à la boutique pour que je lui assigne son caddy. Elle en profitait pour me confier son sac à main que je plaçais dans un tiroir sous le comptoir le temps qu’elle joue sa partie. À l’occasion, elle amenait ses fils pour des leçons de golf et m’en confiait la surveillance pendant qu’ils étaient dans le champ de pratique et qu’elle allait rejoindre son groupe d’amis au « clubhouse ».
Cet été-là, Paul Desmarais avait reçu la visite de Jean-Louis Lévesque, à l’époque réputé pour être l’un des hommes d’affaires les plus riches du Québec, sinon le plus riche. L’affaire avait fait grand bruit dans le milieu. On en parlait dans tous les commerces, et les quelques notables de la région dont certains étaient membres du club me sondaient discrètement pour connaître le jour exact où joueraient ces messieurs.
Parmi les intéressés, l’avocat Martial Asselin, alors maire de la Malbaie après avoir été député conservateur sous Diefenbaker. Les hasards de la vie feront que je le retrouverai au conseil d’administration du Groupe La Laurentienne en 1982 alors que j’y occupais la fonction de vice-président des Communications, et à l’Assemblée nationale en 1994, alors que, devenu lieutenant-gouverneur du Québec, il m’assermentera comme ministre dans le gouvernement Parizeau.
Mon expérience dans ce milieu allait prendre fin avec la saison. L’été suivant, préférant rester à Montréal et cherchant à gagner le plus d’argent possible pour mon année scolaire, je décrochais, grâce aux contacts de ma mère, un poste d’apprenti menuisier à l’Hôtel-Dieu, rémunéré au tarif syndical. Après l’univers des riches, le monde ouvrier.
« Mademoiselle de Mes Deux »
Quelques années plus tard, à l’été 1968, je rentrais au Québec après avoir passé deux ans en Europe, entrecoupées par un retour au Québec pour profiter de la manne de l’Expo 67.
À la veille de reprendre mes cours universitaires, j’étais allé passé quelques jours dans ma famille du Lac-St-Jean où j’avais rencontré le professionnel de golf dont je vous ai parlé plus haut.
On eut tôt fait de m’apprendre que mon séjour dans la région coïncidait avec celui d’une jeune française de mon âge qui passait l’été comme jeune fille au pair chez les Desmarais à Pointe-au-Pic. J’appris ainsi que la soeur de mon oncle mariée au professionnel de golf était devenue proche de Mme Desmarais auprès de qui elle jouait un peu le rôle d’une dame de compagnie.
C’est ainsi qu’elle avait organisé le séjour au Lac de cette jeune française dont les gens là-bas ne savaient trop faire tant elle semblait issue d’un autre monde. Et le fait est qu’elle l’était. C’était la fille BCBG d’un des hauts dirigeants du constructeur automobile Renault. Sa famille était issue de l’aristocratie française et elle portait un nom à particule, Béatrice de... quelque chose (je ne me souviens plus du nom exact).
Notre rencontre fut vite organisée, et au grand soulagement de ma famille du Lac, elle allait jeter son dévolu sur moi, la libérant du coup de la tâche de l’occuper. Comme elle était plutôt jolie, je n’étais pas trop malheureux de lui servir de guide. Mais le moment arriva vite pour moi de rentrer à Montréal. Elle manifesta aussitôt le désir de m’y suivre. « Pas de problème, me dit-elle, j’ai ma chambre chez les Desmarais à Westmount ».
Rentré chez mes parents à Montréal, je leur fis part de ma rencontre. Mon père, Français venu s’établir au Québec en 1948 à l’insistance de ma mère, Québécoise, avait conservé cette gouaille des gens du peuple élevés dans l’esprit de la Révolution de 1789, et à l’annonce des origines aristocratiques de la jeune fille, il l’avait promptement surnommée par dérision « Mademoiselle de Mes Deux », Je vous laisse deviner à quoi il faisait référence...
J’allais donc revoir Béatrice pendant quelques semaines. Un jour, elle me demanda de passer la prendre chez les Desmarais. Ils habitaient déjà leur maison cossue de la rue Ramezay qui surplombe le centre-ville de Montréal. À mon arrivée, comme je m’enquérais de la présence de quelqu’un d’autre dans la maison devant son insistance à me faire faire le tour du propriétaire, elle me répondit avec un air espiègle et déterminé que nous étions seuls. Je n’eus guère le loisir de découvrir autre chose que sa chambre à coucher.
En quittant cette maison en ce petit matin brumeux et âprement frisquet des premiers jours de septembre, j’étais loin de me douter que les hasards de la vie m’amèneraient de nouveau à pénétrer l’univers Desmarais.
Le Groupe La Laurentienne
J’ai mentionné un peu plus haut que j’avais été vice-président du Groupe La Laurentienne au milieu des années 1980. Aujourd’hui disparu, il regroupait plusieurs entreprises du secteur des services financiers. Bâti autour de la Laurentienne Mutuelle d’assurance, une entreprise fondée par le Dr Joachim Tardif de Lévis dans les années 1930, le Groupe La Laurentienne prendra un essor considérable sous l’impulsion de Jean-Marie Poitras à compter du milieu des années 1960 avant d’atteindre son apogée en 1985.
Au début des années 1980, Jean-Marie Poitras a acquis de Paul Desmarais une compagnie d’assurance d’envergure canadienne, l’Imperial Life, basée à Toronto. Est venu en prime avec l’entreprise, Claude Bruneau, son président , mais surtout un financier de l’écurie Power.
Convaincu de la validité du modèle de développement de Power, Jean-Marie Poitras cherche à le reproduire et s’adjoint de grosses pointures pour encadrer les équipes existantes. Claude Castonguay devient le président du Groupe La Laurentienne, et Jacques Drouin, le vice-président, pour mettre en place une stratégie ambitieuse qui mise sur le décloisonnement des services financiers.
Déjà présente dans le capital de Banque d’Épargne de la Cité et du District de Montréal, La Laurentienne la transforme en Banque Laurentienne à la faveur d’un amendement à une loi fédérale. Elle s’implante également dans le secteur des fiducies en procédant à l’acquisition d’une petite société de l’Ontario.
À l’époque, La Laurentienne Mutuelle est tenue, en vertu des règles qui sont imposées aux mutuelles de comptabiliser ses actifs à leur valeur d’acquisition, ce qui la prive de la possibilité d’utiliser le levier financier correspondant à leur valeur au marché. Claude Castonguay obtient la modification de cette règle, ce qui lui permet de lancer un important programme d’acquisitions.
Invité par Paul Desmarais à se joindre à ses efforts de prises de contrôle en Europe, le Groupe La Laurentienne va prendre des participations dans BNP-Paribas et le Groupe Suez., et c’est ainsi que mes fonctions de vice-président me permettront de comprendre le fonctionnement du modèle que constitue pour lui Power Corporation.
Mais le plan de développement de La Laurentienne était sans doute beaucoup trop ambitieux parce quelques années plus tard, durement touchée par l’écrasement du marché boursier en 1987 et une série de décisions qui apparaissent à posteriori mal avisées, le Groupe doit être démantelé, dans un scénario qui préfigure, à l’échelle réduite du Québec, l’effondrement de quelques grands noms de la finance américaine en 2008. Les grands perdants sont les mutualistes de La Laurentienne dont l’avoir s’est envolé en fumée.
Après le fiasco, Claude Bruneau est retourné chez Power. L’avait-il seulement jamais quittée ?...
Il serait malhonnête pour moi de prétendre que je comprenais à l’époque tout ce qui se passait. Même si j’avais été en mesure de le faire, je n’en aurais pas saisi la portée, celle-ci m’étant apparue beaucoup plus tard. En 1986, lorsque j’ai quitté La Laurentienne, j’en savais un peu plus sur les affaires de Paul Desmarais, mais je n’avais pas la moindre idée de ce qu’elles pouvaient avoir de répréhensible.
Le référendum de 1995
Élu député d’Iberville aux élections générales de 1994, j’ai été nommé, à ma propre stupéfaction, ministre délégué à la Restructuration, avec la responsabilité de préparer les études préparatoires à la tenue du référendum. Vingt ans plus tard, je ne m’explique toujours pas pourquoi j’ai été choisi pour ce poste.
Quoiqu’il en soit, une fois en place, je n’avais guère d’autre choix que de m’atteler à la tâche. J’allais rapidement me rendre compte que je faisais face à un barrage soutenu des médias. J’en étais d’autant plus surpris que j’avais toujours entretenu d’excellentes relations avec les milieux journalistiques dans mes fonctions antérieures, notamment à la tête de l’Association des manufacturiers.
Avec le recul du temps, j’ai fini par comprendre que ce n’était pas tant à moi que les journalistes s’en prenaient mais à l’option que je représentais. En 1995, les fédéralistes étaient en guerre contre les indépendantistes québécois, une guerre qu’ils livraient par médias interposés. Et ils avaient le contrôle des principaux médias au Québec, que ce soit les journaux de l’Empire Desmarais ou Radio-Canada. Or en guerre tous les coups sont permis. J’allais en recevoir plus que ma juste part, et les pires allaient m’être portés par La Presse, le fleuron de l’Empire Desmarais.
À l’époque, je n’étais pas pleinement conscient de l’ampleur du combat qui se déroulait. Je ne mesurais pas pleinement la portée d’une victoire du camp du « Oui ». Si je parvenais à en saisir les conséquences pour le Québec, j’entrevoyais beaucoup moins bien celles qu’elles auraient pour le reste du Canada, et pour tout dire, je n’avais guère le temps de m’en soucier.
Grave erreur, de ma part assurément, et je dois le dire, de la plupart de mes collègues. Eussions-nous mieux compris l’enjeu pour le reste du Canada, nous aurions certainement joué la partie très différemment. Ainsi, la publication d’une étude sur ces conséquences aurait mis le gouvernement fédéral sur la défensive et aurait permis au Canada anglais de comprendre l’importance de ne pas créer des conditions qui pourraient les aggraver.
À l’occasion du Salon du livre de Montréal qui vient de se terminer, j’ai eu la surprise de recevoir la visite, lors de la séance de signature prévue pour mon livre sur Charles Sirois, l’homme derrière François Legault, d’un ex-collègue des Postes au moment où l’on m’avait confié, en 1988, dans le cadre d’un mandat temporaire, la responsabilité de mettre sur pied une cellule de gestion des enjeux stratégiques.
Comme nous avions alors sympathisé, et apprenant ma présence au Salon, il avait tenu à venir me rencontrer pour me raconter qu’au référendum de 1995, tous les employés du siège social (plusieurs centaines) avaient été réunis par le président d’alors, Georges Clermont, et le vice-président aux Communications André Villeneuve, pour une harangue politique les pressant de participer dans les jours qui venaient à une grande manifestation à Montréal, Place du Canada. Des autobus les cueilleraient dans le stationnement du siège social le jour de l’événement, leur lunch serait fourni, et aucune retenue ne serait effectué suer leur salaire pour leur absence ce jour-là.
Autrement dit, les dirigeants d’une agence fédérale, la Poste, avaient convaincu ses employés de participer à la violation de la Loi sur les consultations populaires du Québec. Et, aux dires de mon ex-collègue à qui je demandai de répéter ce qu’il venait de me dire au journaliste Normand Lester, présent à mes côtés et auteur de quelques ouvrages sur la période référendaire, et avec qui j’ai l’honneur d’être publié chez le même éditeur, Michel Brûlé, Poste Canada n’était pas la seule agence fédérale à avoir agi de la sorte. Ainsi, il était au courant que la même chose s’était produite à la Société centrale d’hypothèque et de logement (SCHL).
L’importance de cette manifestation pour faire bouger le vote des Québécois à la veille du référendum est bien connue. La question qui se pose maintenant est la suivante : compte tenu du résultat très serré du référendum, son issue aurait-elle pu être différente si toutes les règles avaient été respectées, et si le gouvernement fédéral, avec toute la puissance et les moyens qu’on lui connaît, n’était pas intervenu dans le processus démocratique du Québec ?
Bien entendu, en se faisant les relais complaisants de cette manifestation sans soulever la moindre question sur sa légitimité, les médias, et au premier chef Radio-Canada et l’Empire Desmarais par l’entremise de ses journaux, se faisaient les complices de la manoeuvre fédérale. Jusqu’au début des années 1980, un complot pour enfreindre une loi, fût-elle provinciale, était un acte criminel. Le fait que ce n’était plus le cas en 1995 n’enlèverait rien au caractère odieux et à l’illégitimité de la chose.
Cela dit, sans être pleinement conscient du rôle qu’il jouait, je savais que Paul Desmarais était un adversaire de premier plan. En contact depuis plusieurs années avec le célèbre cabinet d’avocats Rogers & Wells (aujourd’hui dsparu dans une longue chaîne de fusions) de Washington depuis plusieurs années, je savais que Power Corporation était une de leurs clientes.
Dans le cadre de mon programme d’études référendaires, sachant que l’associé principal William Rogers était un ancien Secrétaire d’État des États-Unis sous Nixon, je voulais retenir les services de cette firme pour produire un « Avis sur les conséquences de l’indépendance du Québec en ce qui a trait aux traités et accords conclus avec les États-Unis d’Amérique »
Ceux qui ont une bonne mémoire des débats de l’époque se souviendront que le camp fédéraliste prétendait mordicus que le Québec ne pourrait jamais succéder en son chef aux droits du Canada dans le traité de libre-échange. Pour en avoir longuement discuté avec mes contacts de Washington, je savais qu’ils avaient tort. Le défi était de convaincre ces derniers de me le confirmer dans une opinion officielle.
Alors que je craignais rencontrer une résistance de leur part. ce fut tout le contraire, même après que je leur ai signalé qu’ils risquaient d’encourir les foudres de Paul Desmarais et de perdre la clientèle de Power. Professionnels jusqu’au bout des doigts, ils m’expliquèrent que ce n’était pas la première fois qu’ils se trouvaient dans une situation pareille et qu’ils avaient pour politique de ne jamais discuter avec leurs clients des affaires d’un autre.
Avocat moi-même, je connaissais bien la règle, mais je l’avais vue si souvent bafouée ici que j’avais peine à croire qu’elle put être respectée. C’est pourtant bel et bien ce qui arriva. L’étude fut réalisée au coût de 25 000 $ US (une aubaine) dans le plus grand secret par Mes David Bernstein et William Silverman qui vinrent la présenter eux-mêmes en conférence de presse à la Tribune de la presse à l’Assemblée nationale.
Je me suis souvent demandé quelle tête avait bien pu faire Paul Desmarais lorsqu’il avait découvert que nous avions obtenu une opinion favorable de son cabinet d’avocats à Washington sur une question qui revêtait alors une telle importance stratégique dans le débat référendaire. Et surtout quelle tête avait fait Jean Chrétien, alors premier ministre à Ottawa, lorsqu’il avait appris que le cabinet Rogers & Wells était celui de Paul Desmarais.
Une étude effectuée et rendue publique à mon insu par un professeur de droit de l’Université Laval proche des Libéraux dans le cadre du programme d’études du Secrétariat à la Restructuration que j’étais censé chapeauter mais qui relevait en fait du Conseil exécutif, le ministère du premier ministre, allait venir contredire les conclusions de Rogers & Wells dans les semaines précédant le référendum.
Cela vous donne une idée de la façon dont la machine du gouvernement, encore aux mains des Libéraux malgré l’élection d’un gouvernement péquiste majoritaire l’année précédente, faisait des pieds et des mains pour assurer l’échec du référendum. Cela vous donne aussi une idée de ce qui peut se passer en ce moment pour faire déraper le gouvernement minoritaire de Pauline Marois.
J’ai particulièrement en tête le cas de la Commission des droits de la personne présidée par le constitutionnaliste Jacques Frémont, proche des Libéraux, qui s’est prononcé publiquement au nom de son organisme contre le projet de Charte du ministre Drainville sans avoir été invité à le faire.
La dépossession tranquille
Il faudra ensuite plusieurs années avant que je m’intéresse à nouveau à Paul Desmarais. Ceux qui me suivent régulièrement sur Vigile depuis bientôt quatre ans savent que mon intérêt a été piqué lorsque j’ai vu Hydro-Québec s’intéresser à Énergie Nouveau-Brunswick et proposer de l’acquérir.
En examinant les dessous de l’affaire, j’ai rapidement compris qu’il s’agissait d’une manoeuvre pour soustraire Hydro-Québec à la compétence du Québec et en faciliter la privatisation au bénéfice d’intérêts privés dans lesquels l’Emire Desmarais serait fortement représenté.
En effet, en acquérant Énergie Nouveau-Brunswick, Hydro-Québec serait devenue une entreprise à caractère interprovinciale et soumise ipso facto à la compétence fédérale. Il aurait alors été facile pour le gouvernement Charest d’argumenter que le Gouvernement du Québec n’avait plus le même intérêt à en être l’unique propriétaire, et l’entreprise aurait été partiellement privatisée dans un premier temps et ensuite progressivement abandonnée en invoquant la nécessité d’utiliser le produit de la vente pour rembourser la dette publique.
Ce scénario est archi-connu et il a été largement utilisé ailleurs comme je l’ai documenté dans de nombreux articles en m’inspirant de certains exemples étrangers.
Après avoir publié Desmarais, La Dépossession tranquille en 2012, un ouvrage qui reprend à peu de choses près mes chroniques publiées sur Vigile pour la raison très simple qu’elles n’avaient entraîné aucune mise en demeure ou poursuite contre Vigile ou moi-même, j’ai continué à écrire d’autres articles sur l’Empire Desmarais au fur et à mesure que je faisais de nouvelles découvertes, et je me retrouve aujourd’hui avec suffisamment de matériel pour publier un Tome II, tout aussi trépidant que le premier comme peuvent facilement s’en rendre compte les lecteurs qui ont la patience de rechercher sur Vigile mes articles dans leur ordre de parution.
Si cette possibilité existe, elle a peu de chances de se matérialiser. En effet, la crise financière dans laquelle le monde est plongé depuis 2008 ne montre aucun signe d’essoufflement. Bien au contraire, le ralentissement de la croissance mondiale malgré les quantités astronomiques de liquidités mises en circulation par les grandes banques centrales laisse entrevoir des jours très difficiles et le spectre d’une grande déflation ou au contraire d’une inflation débridée, deux scénarios difficiles à vivre pour des groupes financiers dont le succès repose sur l’utilisation maximale de l’effet levier des actifs qu’ils gèrent essentiellement pour d’autres.
Ainsi, la valeur des actions de Power avait fortement chuté en 2008, et il faut se demander de combien elle chuterait encore advenant une crise bien plus grave, une possibilité très réelle selon les meilleurs spécialistes. Dans un tel scénario, l’expérience, les talents et l’influence personnelle d’un Paul Desmarais seraient fortement mis à contribution, et il n’est pas du tout certain que sa relève soit à la hauteur, tout en sachant que même cela pourrait ne pas être suffisant.
D’autant plus qu’un jour ou l’autre, certaines affaires dans lesquelles est engagé l’Empire Desmarais commenceront à être examinées de plus près. Certaines sentent déjà le roussi. Pour tenter de faire comprendre à mes lecteurs le cas Desmarais, J’ai mis en relief son côté prédateur. En effet, Paul Desmarais était un prédateur, de génie peut-être, mais prédateur néanmoins.
Comme me l’a souligné une lectrice enthousiaste originaire de la même région que lui dans une formule lapidaire, « Paul Desmarais ne faisait pas travailler le monde, il faisait travailler l’argent ». Et toujours celui des autres, ce qui est inévitable dans les services financiers. Le champ même de votre activité vous condamne à n’être jamais qu’un écumeur, ce qui n’est pas le cas pour les industriels du secteur manufacturier qui sont, eux, condamnés à être des bâtisseurs. Ils ne peuvent progresser que par la valeur ajoutée. Pas une valeur factice fondée sur des artifices comptables. Une valeur tangible et vérifiable à l’oeil nu.
Paul Desmarais devait aussi ses succès à ses contacts politiques. Il n’en a d’ailleurs jamais fait mystère. Mais à quoi donc peuvent servir de tels contacts si ce n’est pour obtenir par leur entremise des avantages qui ne vous seraient pas accessibles autrement ? Se posent dès lors plusieurs questions, toutes plus embêtantes les unes que les autres. Quels avantages ? Légaux ou illégaux ? En contrepartie de quoi ? En toute transparence ou sous la table ? Plus rapidement que vous n’avez le temps d’y penser, vous voilà en route pour un paradis fiscal des îles Mouk-Mouk.
Dans l’immédiat, la perspective peut paraître alléchante. Mais quand quelqu’un se met à poser les questions embêtantes, l’alléchant devient vite indigeste. Parlez-en aux témoins convoqués devant la Commission Charbonneau ou à ceux qui, comme l’ex-maire Vaillancourt, vont devoir subir leur procès pour gangstérisme.
Mais, me demanderez-vous, quel rapport tout ceci a-t-il avec Paul Desmarais ? Il serait facile de répondre « aucun » si au cours des dernières années, son empire ne s’était pas retrouvé mêlé à des dossiers au sujet desquels toutes sortes de questions demeurent en suspens, ou si certaines personnes mêlées à des dossiers suspects n’étaient pas apparues dans son entourage.
Exagéré ce scénario ? Pas du tout, c’est celui du CUSM. C’est peut-être aussi celui du CHUM. Si l’Empire Desmarais peut être exclu du premier, peut-il l’être tout aussi facilement du second, ou de la « tempête parfaite » survenue à la Caisse de dépôt en 2008 ? Et Anticosti ? Et l’affaire Quick en Europe ?
L’avantage avec un bon sujet, c’est qu’il reste toujours quelque chose à écrire. Pour un auteur, Paul Desmarais est un bon sujet. Pour un Québécois, c’est une autre affaire. L’histoire retiendra sûrement de lui qu’il est parvenu à exercer sur le Québec une influence plus grande que celle de la majorité de toutes les personnes ayant occupé un poste électif au cours de toute son histoire.
Si cette mesure est très flatteuse pour lui, elle l’est beaucoup moins pour nous. Comment avons-nous pu tolérer une chose pareille ?
source
Dans un geste pour lequel il n’y a sans doute pas beaucoup de précédents dans le cas d’une personnalité non politique, la Société Radio-Canada, son alliée dans la lutte aux velléités indépendantistes du Québec, a même diffusé la cérémonie sur son réseau. C’est sans doute la reconnaissance que Paul Desmarais, bien qu’il n’ait jamais occupé de fonctions officielles dans le gouvernement canadien, en occupait de très importantes à titre officieux.
Il faut dès lors s’attendre à ce que le concert de louanges, qui s’était quelque peu apaisé ces dernières semaines, reprenne de plus belle. Le corbillard étant passé, il devient socialement acceptable d’introduire quelques bémols pour rétablir un peu l’équilibre et jeter sur l’homme et son oeuvre un regard un tant soit peu critique.
Paul Desmarais en cinq temps
Le moment est venu de vous faire quelques confidences. Si je n’ai commencé à m’intéresser à Paul Desmarais et à ses affaires qu’en 2009, le personnage ne m’était pas étranger. En fait, et au risque d’en surprendre plus d’un, je connais Paul Desmarais depuis l’été 1963 ou 1964, je ne me souviens plus trop. Je lui ai même déjà prêté de l’argent ! Bon, ce n’était pas le mien, mais quand même...Laissez-moi vous raconter...
Charlevoix
En visite familiale au Lac-Saint-Jean à l’occasion des Fêtes l’hiver précédent, j’avais eu l’occasion de rencontrer un beau-frère de mon oncle qui était le professionnel de golf attitré au Murray Bay Golf Club, situé entre La Malbaie et Pointe-au-Pic dans le comté de Charlevoix.
Impressionné par mon air de jeune homme sérieux, mes bonnes manières et ma capacité de m’exprimer couramment aussi bien en français qu’en anglais, il en vint rapidement à me demander si je serais intéressé à être son assistant et à tenir le pro-shop du club l’été suivant. L’occasion était trop belle pour la refuser, et je sautai dessus à pieds joints.
Mes cours terminés, je pris le chemin de La Malbaie. À l’époque, la construction de l’autoroute Jean-Lesage n’était pas encore tout à fait terminée (les derniers tronçons le seraient juste avant l’EXPO 67), et le voyage en autobus d’abord jusqu’à Québec, puis jusqu’à La Malbaie, représentait toute une expédition, doublée pour moi d’une découverte. C’était la première fois de ma vie que je me rendais dans Charlevoix, n’étant jamais allé auparavant plus loin que Ste-Anne-de-Beaupré. .
Les paysages étaient à couper le souffle, et la route aussi. Je garderai toute ma vie le souvenir de cette première descente vers Baie-St-Paul dans un vieil autobus poussif dont on craignait à chaque cahot, et il y en avait alors beaucoup, qu’il ne s’éventre. Les freins gémissaient à fendre l’âme, et une vague odeur de brûlé s’infiltrait dans l’habitacle, suscitant chez les passagers les pires appréhensions.
Au soupir collectif de soulagement à l’annonce de l’arrivée imminente du bus à La Malbaie, je compris que je n’étais pas le seul à avoir ressenti un doute sur l’atteinte de notre destination.
Le temps d’installer mes pénates, j’allais découvrir un univers dont j’ignorais jusqu’à l’existence, celui des gens très riches et de ceux qui leur gravitent autour dans l’espoir fou, mais hélas trop répandu, que la richesse soit une maladie contagieuse. Plus d’un papillon s’est brûlé les ailes à s’approcher trop près du feu.
Paul Desmarais appartenait déjà à la catégorie des gens riches, avec résidence sur le Boulevard des Falaises, à Pointe-au-Pic. Mais il y avait des gens alors bien plus riches, des Américains, les Taft, qui fréquentaient les lieux depuis la fin du 19e siècle, les Cabot de Boston, ou d’autres encore, les barons du caoutchouc ou de l’acier de Cleveland. Les riches arrivaient à Pointe-au-Pic sur les navires de la Canada Steamship. Certains y avaient de superbes résidences, à Pointe-au-Pic ou à Cap-à-l’Aigle, d’autres s’installaient pour la saison au Manoir Richelieu.
Pour ma part, j’habitais chez mon patron et sa conjointe, la soeur de mon oncle par alliance comme on expliquait les choses autrefois, qui avaient loué pour la saison le second étage d’une maison qui donnait tout juste sur le quai de Pointe-au-Pic. Mais ma vie, comme celle de tous les estivants, allait graviter autour du club de golf dont je tiendrais la boutique. Logée dans une cabane tout à côté du « club-house », elle donnait directement sur le « tee » de départ et le champ de pratique.
Mes fonctions comprenaient entre autres l’assignation des caddies aux golfeurs. Ils passaient donc tous dans la boutique avant de partir, et de la fenêtre qui donnait sur l’enclos arrière dans lequel devaient se tenir les caddies, j’avais la délicate tâche d’apparier les caddies aux joueurs selon des critères aussi variés que la séniorité, la connaissance du jeu, l’aptitude des jeunes à comprendre l’anglais et de pouvoir en baragouiner quelques mots au besoin avec un joueur n’ayant aucune notion du français, etc.
J’allais rapidement apprendre qu’autant les joueurs que les caddies avaient leurs préférences, et l’exercice devenait franchement périlleux lorsque elles ne coïncidaient pas. Certains joueurs avaient la cote chez les caddies pour leur largesse, d’autres étaient réputés pour leur pingrerie. Chez les caddies, certains étaient recherchés pour leur connaissance du jeu ou leur courtoisie, d’autres étaient rejetés pour leur jeunesse, leur petite taille ou leur « mauvais genre ».
C’est dans ces conditions que j’allais rencontrer la famille Desmarais, à tout le moins Paul Sr, sa femme Jacqueline et les deux garçons Paul Jr et André (surnommé Andy) qui avaient alors respectivement neuf ou dix ans pour le premier, et sept ou huit pour le second.
Après chaque partie, Paul Sr, qui n’avait jamais un sou dans ses poches, entrait dans la boutique et me demandait de lui prêter l’argent pour payer son caddy. Dûment prévenu de cette habitude, je n’en étais pas moins surpris à chaque fois, tant il me paraissait incongru qu’un homme prétendument si riche en soit réduit à emprunter de l’argent pour des dépenses aussi minimes. J’allais apprendre beaucoup plus tard qu’on ne prête qu’aux riches.
Le Paul Desmarais que j’ai alors croisé parlait peu et s’en tenait au strict minimum dans ses échanges avec moi. Après tout, je n’étais qu’un préposé, et il n’était guère obligé d’en faire plus, même si d’autres que lui savaient se montrer beaucoup plus affables. Ayant appris par la rumeur qu’il était toujours en train de mijoter de nouvelles transactions, je ne lui tenais pas rigueur de sa distance. C’était un homme très occupé, et l’on m’avait enseigné à me faire très discret et respectueux devant ce genre de personnage.
Quant à Mme Desmarais, elle jouait surtout l’après-midi, et passait à chaque fois à la boutique pour que je lui assigne son caddy. Elle en profitait pour me confier son sac à main que je plaçais dans un tiroir sous le comptoir le temps qu’elle joue sa partie. À l’occasion, elle amenait ses fils pour des leçons de golf et m’en confiait la surveillance pendant qu’ils étaient dans le champ de pratique et qu’elle allait rejoindre son groupe d’amis au « clubhouse ».
Cet été-là, Paul Desmarais avait reçu la visite de Jean-Louis Lévesque, à l’époque réputé pour être l’un des hommes d’affaires les plus riches du Québec, sinon le plus riche. L’affaire avait fait grand bruit dans le milieu. On en parlait dans tous les commerces, et les quelques notables de la région dont certains étaient membres du club me sondaient discrètement pour connaître le jour exact où joueraient ces messieurs.
Parmi les intéressés, l’avocat Martial Asselin, alors maire de la Malbaie après avoir été député conservateur sous Diefenbaker. Les hasards de la vie feront que je le retrouverai au conseil d’administration du Groupe La Laurentienne en 1982 alors que j’y occupais la fonction de vice-président des Communications, et à l’Assemblée nationale en 1994, alors que, devenu lieutenant-gouverneur du Québec, il m’assermentera comme ministre dans le gouvernement Parizeau.
Mon expérience dans ce milieu allait prendre fin avec la saison. L’été suivant, préférant rester à Montréal et cherchant à gagner le plus d’argent possible pour mon année scolaire, je décrochais, grâce aux contacts de ma mère, un poste d’apprenti menuisier à l’Hôtel-Dieu, rémunéré au tarif syndical. Après l’univers des riches, le monde ouvrier.
« Mademoiselle de Mes Deux »
Quelques années plus tard, à l’été 1968, je rentrais au Québec après avoir passé deux ans en Europe, entrecoupées par un retour au Québec pour profiter de la manne de l’Expo 67.
À la veille de reprendre mes cours universitaires, j’étais allé passé quelques jours dans ma famille du Lac-St-Jean où j’avais rencontré le professionnel de golf dont je vous ai parlé plus haut.
On eut tôt fait de m’apprendre que mon séjour dans la région coïncidait avec celui d’une jeune française de mon âge qui passait l’été comme jeune fille au pair chez les Desmarais à Pointe-au-Pic. J’appris ainsi que la soeur de mon oncle mariée au professionnel de golf était devenue proche de Mme Desmarais auprès de qui elle jouait un peu le rôle d’une dame de compagnie.
C’est ainsi qu’elle avait organisé le séjour au Lac de cette jeune française dont les gens là-bas ne savaient trop faire tant elle semblait issue d’un autre monde. Et le fait est qu’elle l’était. C’était la fille BCBG d’un des hauts dirigeants du constructeur automobile Renault. Sa famille était issue de l’aristocratie française et elle portait un nom à particule, Béatrice de... quelque chose (je ne me souviens plus du nom exact).
Notre rencontre fut vite organisée, et au grand soulagement de ma famille du Lac, elle allait jeter son dévolu sur moi, la libérant du coup de la tâche de l’occuper. Comme elle était plutôt jolie, je n’étais pas trop malheureux de lui servir de guide. Mais le moment arriva vite pour moi de rentrer à Montréal. Elle manifesta aussitôt le désir de m’y suivre. « Pas de problème, me dit-elle, j’ai ma chambre chez les Desmarais à Westmount ».
Rentré chez mes parents à Montréal, je leur fis part de ma rencontre. Mon père, Français venu s’établir au Québec en 1948 à l’insistance de ma mère, Québécoise, avait conservé cette gouaille des gens du peuple élevés dans l’esprit de la Révolution de 1789, et à l’annonce des origines aristocratiques de la jeune fille, il l’avait promptement surnommée par dérision « Mademoiselle de Mes Deux », Je vous laisse deviner à quoi il faisait référence...
J’allais donc revoir Béatrice pendant quelques semaines. Un jour, elle me demanda de passer la prendre chez les Desmarais. Ils habitaient déjà leur maison cossue de la rue Ramezay qui surplombe le centre-ville de Montréal. À mon arrivée, comme je m’enquérais de la présence de quelqu’un d’autre dans la maison devant son insistance à me faire faire le tour du propriétaire, elle me répondit avec un air espiègle et déterminé que nous étions seuls. Je n’eus guère le loisir de découvrir autre chose que sa chambre à coucher.
En quittant cette maison en ce petit matin brumeux et âprement frisquet des premiers jours de septembre, j’étais loin de me douter que les hasards de la vie m’amèneraient de nouveau à pénétrer l’univers Desmarais.
Le Groupe La Laurentienne
J’ai mentionné un peu plus haut que j’avais été vice-président du Groupe La Laurentienne au milieu des années 1980. Aujourd’hui disparu, il regroupait plusieurs entreprises du secteur des services financiers. Bâti autour de la Laurentienne Mutuelle d’assurance, une entreprise fondée par le Dr Joachim Tardif de Lévis dans les années 1930, le Groupe La Laurentienne prendra un essor considérable sous l’impulsion de Jean-Marie Poitras à compter du milieu des années 1960 avant d’atteindre son apogée en 1985.
Au début des années 1980, Jean-Marie Poitras a acquis de Paul Desmarais une compagnie d’assurance d’envergure canadienne, l’Imperial Life, basée à Toronto. Est venu en prime avec l’entreprise, Claude Bruneau, son président , mais surtout un financier de l’écurie Power.
Convaincu de la validité du modèle de développement de Power, Jean-Marie Poitras cherche à le reproduire et s’adjoint de grosses pointures pour encadrer les équipes existantes. Claude Castonguay devient le président du Groupe La Laurentienne, et Jacques Drouin, le vice-président, pour mettre en place une stratégie ambitieuse qui mise sur le décloisonnement des services financiers.
Déjà présente dans le capital de Banque d’Épargne de la Cité et du District de Montréal, La Laurentienne la transforme en Banque Laurentienne à la faveur d’un amendement à une loi fédérale. Elle s’implante également dans le secteur des fiducies en procédant à l’acquisition d’une petite société de l’Ontario.
À l’époque, La Laurentienne Mutuelle est tenue, en vertu des règles qui sont imposées aux mutuelles de comptabiliser ses actifs à leur valeur d’acquisition, ce qui la prive de la possibilité d’utiliser le levier financier correspondant à leur valeur au marché. Claude Castonguay obtient la modification de cette règle, ce qui lui permet de lancer un important programme d’acquisitions.
Invité par Paul Desmarais à se joindre à ses efforts de prises de contrôle en Europe, le Groupe La Laurentienne va prendre des participations dans BNP-Paribas et le Groupe Suez., et c’est ainsi que mes fonctions de vice-président me permettront de comprendre le fonctionnement du modèle que constitue pour lui Power Corporation.
Mais le plan de développement de La Laurentienne était sans doute beaucoup trop ambitieux parce quelques années plus tard, durement touchée par l’écrasement du marché boursier en 1987 et une série de décisions qui apparaissent à posteriori mal avisées, le Groupe doit être démantelé, dans un scénario qui préfigure, à l’échelle réduite du Québec, l’effondrement de quelques grands noms de la finance américaine en 2008. Les grands perdants sont les mutualistes de La Laurentienne dont l’avoir s’est envolé en fumée.
Après le fiasco, Claude Bruneau est retourné chez Power. L’avait-il seulement jamais quittée ?...
Il serait malhonnête pour moi de prétendre que je comprenais à l’époque tout ce qui se passait. Même si j’avais été en mesure de le faire, je n’en aurais pas saisi la portée, celle-ci m’étant apparue beaucoup plus tard. En 1986, lorsque j’ai quitté La Laurentienne, j’en savais un peu plus sur les affaires de Paul Desmarais, mais je n’avais pas la moindre idée de ce qu’elles pouvaient avoir de répréhensible.
Le référendum de 1995
Élu député d’Iberville aux élections générales de 1994, j’ai été nommé, à ma propre stupéfaction, ministre délégué à la Restructuration, avec la responsabilité de préparer les études préparatoires à la tenue du référendum. Vingt ans plus tard, je ne m’explique toujours pas pourquoi j’ai été choisi pour ce poste.
Quoiqu’il en soit, une fois en place, je n’avais guère d’autre choix que de m’atteler à la tâche. J’allais rapidement me rendre compte que je faisais face à un barrage soutenu des médias. J’en étais d’autant plus surpris que j’avais toujours entretenu d’excellentes relations avec les milieux journalistiques dans mes fonctions antérieures, notamment à la tête de l’Association des manufacturiers.
Avec le recul du temps, j’ai fini par comprendre que ce n’était pas tant à moi que les journalistes s’en prenaient mais à l’option que je représentais. En 1995, les fédéralistes étaient en guerre contre les indépendantistes québécois, une guerre qu’ils livraient par médias interposés. Et ils avaient le contrôle des principaux médias au Québec, que ce soit les journaux de l’Empire Desmarais ou Radio-Canada. Or en guerre tous les coups sont permis. J’allais en recevoir plus que ma juste part, et les pires allaient m’être portés par La Presse, le fleuron de l’Empire Desmarais.
À l’époque, je n’étais pas pleinement conscient de l’ampleur du combat qui se déroulait. Je ne mesurais pas pleinement la portée d’une victoire du camp du « Oui ». Si je parvenais à en saisir les conséquences pour le Québec, j’entrevoyais beaucoup moins bien celles qu’elles auraient pour le reste du Canada, et pour tout dire, je n’avais guère le temps de m’en soucier.
Grave erreur, de ma part assurément, et je dois le dire, de la plupart de mes collègues. Eussions-nous mieux compris l’enjeu pour le reste du Canada, nous aurions certainement joué la partie très différemment. Ainsi, la publication d’une étude sur ces conséquences aurait mis le gouvernement fédéral sur la défensive et aurait permis au Canada anglais de comprendre l’importance de ne pas créer des conditions qui pourraient les aggraver.
À l’occasion du Salon du livre de Montréal qui vient de se terminer, j’ai eu la surprise de recevoir la visite, lors de la séance de signature prévue pour mon livre sur Charles Sirois, l’homme derrière François Legault, d’un ex-collègue des Postes au moment où l’on m’avait confié, en 1988, dans le cadre d’un mandat temporaire, la responsabilité de mettre sur pied une cellule de gestion des enjeux stratégiques.
Comme nous avions alors sympathisé, et apprenant ma présence au Salon, il avait tenu à venir me rencontrer pour me raconter qu’au référendum de 1995, tous les employés du siège social (plusieurs centaines) avaient été réunis par le président d’alors, Georges Clermont, et le vice-président aux Communications André Villeneuve, pour une harangue politique les pressant de participer dans les jours qui venaient à une grande manifestation à Montréal, Place du Canada. Des autobus les cueilleraient dans le stationnement du siège social le jour de l’événement, leur lunch serait fourni, et aucune retenue ne serait effectué suer leur salaire pour leur absence ce jour-là.
Autrement dit, les dirigeants d’une agence fédérale, la Poste, avaient convaincu ses employés de participer à la violation de la Loi sur les consultations populaires du Québec. Et, aux dires de mon ex-collègue à qui je demandai de répéter ce qu’il venait de me dire au journaliste Normand Lester, présent à mes côtés et auteur de quelques ouvrages sur la période référendaire, et avec qui j’ai l’honneur d’être publié chez le même éditeur, Michel Brûlé, Poste Canada n’était pas la seule agence fédérale à avoir agi de la sorte. Ainsi, il était au courant que la même chose s’était produite à la Société centrale d’hypothèque et de logement (SCHL).
L’importance de cette manifestation pour faire bouger le vote des Québécois à la veille du référendum est bien connue. La question qui se pose maintenant est la suivante : compte tenu du résultat très serré du référendum, son issue aurait-elle pu être différente si toutes les règles avaient été respectées, et si le gouvernement fédéral, avec toute la puissance et les moyens qu’on lui connaît, n’était pas intervenu dans le processus démocratique du Québec ?
Bien entendu, en se faisant les relais complaisants de cette manifestation sans soulever la moindre question sur sa légitimité, les médias, et au premier chef Radio-Canada et l’Empire Desmarais par l’entremise de ses journaux, se faisaient les complices de la manoeuvre fédérale. Jusqu’au début des années 1980, un complot pour enfreindre une loi, fût-elle provinciale, était un acte criminel. Le fait que ce n’était plus le cas en 1995 n’enlèverait rien au caractère odieux et à l’illégitimité de la chose.
Cela dit, sans être pleinement conscient du rôle qu’il jouait, je savais que Paul Desmarais était un adversaire de premier plan. En contact depuis plusieurs années avec le célèbre cabinet d’avocats Rogers & Wells (aujourd’hui dsparu dans une longue chaîne de fusions) de Washington depuis plusieurs années, je savais que Power Corporation était une de leurs clientes.
Dans le cadre de mon programme d’études référendaires, sachant que l’associé principal William Rogers était un ancien Secrétaire d’État des États-Unis sous Nixon, je voulais retenir les services de cette firme pour produire un « Avis sur les conséquences de l’indépendance du Québec en ce qui a trait aux traités et accords conclus avec les États-Unis d’Amérique »
Ceux qui ont une bonne mémoire des débats de l’époque se souviendront que le camp fédéraliste prétendait mordicus que le Québec ne pourrait jamais succéder en son chef aux droits du Canada dans le traité de libre-échange. Pour en avoir longuement discuté avec mes contacts de Washington, je savais qu’ils avaient tort. Le défi était de convaincre ces derniers de me le confirmer dans une opinion officielle.
Alors que je craignais rencontrer une résistance de leur part. ce fut tout le contraire, même après que je leur ai signalé qu’ils risquaient d’encourir les foudres de Paul Desmarais et de perdre la clientèle de Power. Professionnels jusqu’au bout des doigts, ils m’expliquèrent que ce n’était pas la première fois qu’ils se trouvaient dans une situation pareille et qu’ils avaient pour politique de ne jamais discuter avec leurs clients des affaires d’un autre.
Avocat moi-même, je connaissais bien la règle, mais je l’avais vue si souvent bafouée ici que j’avais peine à croire qu’elle put être respectée. C’est pourtant bel et bien ce qui arriva. L’étude fut réalisée au coût de 25 000 $ US (une aubaine) dans le plus grand secret par Mes David Bernstein et William Silverman qui vinrent la présenter eux-mêmes en conférence de presse à la Tribune de la presse à l’Assemblée nationale.
Je me suis souvent demandé quelle tête avait bien pu faire Paul Desmarais lorsqu’il avait découvert que nous avions obtenu une opinion favorable de son cabinet d’avocats à Washington sur une question qui revêtait alors une telle importance stratégique dans le débat référendaire. Et surtout quelle tête avait fait Jean Chrétien, alors premier ministre à Ottawa, lorsqu’il avait appris que le cabinet Rogers & Wells était celui de Paul Desmarais.
Une étude effectuée et rendue publique à mon insu par un professeur de droit de l’Université Laval proche des Libéraux dans le cadre du programme d’études du Secrétariat à la Restructuration que j’étais censé chapeauter mais qui relevait en fait du Conseil exécutif, le ministère du premier ministre, allait venir contredire les conclusions de Rogers & Wells dans les semaines précédant le référendum.
Cela vous donne une idée de la façon dont la machine du gouvernement, encore aux mains des Libéraux malgré l’élection d’un gouvernement péquiste majoritaire l’année précédente, faisait des pieds et des mains pour assurer l’échec du référendum. Cela vous donne aussi une idée de ce qui peut se passer en ce moment pour faire déraper le gouvernement minoritaire de Pauline Marois.
J’ai particulièrement en tête le cas de la Commission des droits de la personne présidée par le constitutionnaliste Jacques Frémont, proche des Libéraux, qui s’est prononcé publiquement au nom de son organisme contre le projet de Charte du ministre Drainville sans avoir été invité à le faire.
La dépossession tranquille
Il faudra ensuite plusieurs années avant que je m’intéresse à nouveau à Paul Desmarais. Ceux qui me suivent régulièrement sur Vigile depuis bientôt quatre ans savent que mon intérêt a été piqué lorsque j’ai vu Hydro-Québec s’intéresser à Énergie Nouveau-Brunswick et proposer de l’acquérir.
En examinant les dessous de l’affaire, j’ai rapidement compris qu’il s’agissait d’une manoeuvre pour soustraire Hydro-Québec à la compétence du Québec et en faciliter la privatisation au bénéfice d’intérêts privés dans lesquels l’Emire Desmarais serait fortement représenté.
En effet, en acquérant Énergie Nouveau-Brunswick, Hydro-Québec serait devenue une entreprise à caractère interprovinciale et soumise ipso facto à la compétence fédérale. Il aurait alors été facile pour le gouvernement Charest d’argumenter que le Gouvernement du Québec n’avait plus le même intérêt à en être l’unique propriétaire, et l’entreprise aurait été partiellement privatisée dans un premier temps et ensuite progressivement abandonnée en invoquant la nécessité d’utiliser le produit de la vente pour rembourser la dette publique.
Ce scénario est archi-connu et il a été largement utilisé ailleurs comme je l’ai documenté dans de nombreux articles en m’inspirant de certains exemples étrangers.
Après avoir publié Desmarais, La Dépossession tranquille en 2012, un ouvrage qui reprend à peu de choses près mes chroniques publiées sur Vigile pour la raison très simple qu’elles n’avaient entraîné aucune mise en demeure ou poursuite contre Vigile ou moi-même, j’ai continué à écrire d’autres articles sur l’Empire Desmarais au fur et à mesure que je faisais de nouvelles découvertes, et je me retrouve aujourd’hui avec suffisamment de matériel pour publier un Tome II, tout aussi trépidant que le premier comme peuvent facilement s’en rendre compte les lecteurs qui ont la patience de rechercher sur Vigile mes articles dans leur ordre de parution.
La succession
Pour réussir comme il l’a fait, il est indéniable que Paul Desmarais avait beaucoup de talent, un flair certain et un magnétisme ravageur. Cette combinaison est si rare que l’on voit mal quiconque pouvoir lui succéder, à moins que les qualités requises pour assurer le succès de son empire ne soient plus les mêmes que celles qui lui ont permis d’atteindre son niveau actuel.Si cette possibilité existe, elle a peu de chances de se matérialiser. En effet, la crise financière dans laquelle le monde est plongé depuis 2008 ne montre aucun signe d’essoufflement. Bien au contraire, le ralentissement de la croissance mondiale malgré les quantités astronomiques de liquidités mises en circulation par les grandes banques centrales laisse entrevoir des jours très difficiles et le spectre d’une grande déflation ou au contraire d’une inflation débridée, deux scénarios difficiles à vivre pour des groupes financiers dont le succès repose sur l’utilisation maximale de l’effet levier des actifs qu’ils gèrent essentiellement pour d’autres.
Ainsi, la valeur des actions de Power avait fortement chuté en 2008, et il faut se demander de combien elle chuterait encore advenant une crise bien plus grave, une possibilité très réelle selon les meilleurs spécialistes. Dans un tel scénario, l’expérience, les talents et l’influence personnelle d’un Paul Desmarais seraient fortement mis à contribution, et il n’est pas du tout certain que sa relève soit à la hauteur, tout en sachant que même cela pourrait ne pas être suffisant.
D’autant plus qu’un jour ou l’autre, certaines affaires dans lesquelles est engagé l’Empire Desmarais commenceront à être examinées de plus près. Certaines sentent déjà le roussi. Pour tenter de faire comprendre à mes lecteurs le cas Desmarais, J’ai mis en relief son côté prédateur. En effet, Paul Desmarais était un prédateur, de génie peut-être, mais prédateur néanmoins.
Comme me l’a souligné une lectrice enthousiaste originaire de la même région que lui dans une formule lapidaire, « Paul Desmarais ne faisait pas travailler le monde, il faisait travailler l’argent ». Et toujours celui des autres, ce qui est inévitable dans les services financiers. Le champ même de votre activité vous condamne à n’être jamais qu’un écumeur, ce qui n’est pas le cas pour les industriels du secteur manufacturier qui sont, eux, condamnés à être des bâtisseurs. Ils ne peuvent progresser que par la valeur ajoutée. Pas une valeur factice fondée sur des artifices comptables. Une valeur tangible et vérifiable à l’oeil nu.
Paul Desmarais devait aussi ses succès à ses contacts politiques. Il n’en a d’ailleurs jamais fait mystère. Mais à quoi donc peuvent servir de tels contacts si ce n’est pour obtenir par leur entremise des avantages qui ne vous seraient pas accessibles autrement ? Se posent dès lors plusieurs questions, toutes plus embêtantes les unes que les autres. Quels avantages ? Légaux ou illégaux ? En contrepartie de quoi ? En toute transparence ou sous la table ? Plus rapidement que vous n’avez le temps d’y penser, vous voilà en route pour un paradis fiscal des îles Mouk-Mouk.
Dans l’immédiat, la perspective peut paraître alléchante. Mais quand quelqu’un se met à poser les questions embêtantes, l’alléchant devient vite indigeste. Parlez-en aux témoins convoqués devant la Commission Charbonneau ou à ceux qui, comme l’ex-maire Vaillancourt, vont devoir subir leur procès pour gangstérisme.
Mais, me demanderez-vous, quel rapport tout ceci a-t-il avec Paul Desmarais ? Il serait facile de répondre « aucun » si au cours des dernières années, son empire ne s’était pas retrouvé mêlé à des dossiers au sujet desquels toutes sortes de questions demeurent en suspens, ou si certaines personnes mêlées à des dossiers suspects n’étaient pas apparues dans son entourage.
Exagéré ce scénario ? Pas du tout, c’est celui du CUSM. C’est peut-être aussi celui du CHUM. Si l’Empire Desmarais peut être exclu du premier, peut-il l’être tout aussi facilement du second, ou de la « tempête parfaite » survenue à la Caisse de dépôt en 2008 ? Et Anticosti ? Et l’affaire Quick en Europe ?
L’avantage avec un bon sujet, c’est qu’il reste toujours quelque chose à écrire. Pour un auteur, Paul Desmarais est un bon sujet. Pour un Québécois, c’est une autre affaire. L’histoire retiendra sûrement de lui qu’il est parvenu à exercer sur le Québec une influence plus grande que celle de la majorité de toutes les personnes ayant occupé un poste électif au cours de toute son histoire.
Si cette mesure est très flatteuse pour lui, elle l’est beaucoup moins pour nous. Comment avons-nous pu tolérer une chose pareille ?
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