Un jour, j’irai vivre en Théorie parce qu’il paraît qu’en Théorie, tout va bien. (Les mots surpendus)

mardi 28 octobre 2014

Le modèle de la guerre contre le terrorisme sera-t-il le modèle de gestion de la crise de l'Ebola ?





Karen J. Greenberg revient dans cet article publié dans TomDispatch.com sur les tentations du gouvernement étatsunien de gérer la crise de l'Ebola à la manière d'une guerre contre le terrorisme avec le risque d'atteinte aux libertés publiques et d'aggravation de la situation sanitaire. Selon elle quatre principes devraient être pris en compte pour ne pas reproduire les erreurs antérieures de la lutte contre le terrorisme qui pourraient être transposées par le gouvernement US à la lutte contre l'Ebola :

- refuser la militarisation de la lutte contre l'Ebola

- laisser les professionnels de santé publique et médicaux gérer la crise

- avoir une gestion transparente de la crise

- refuser les centres de quarantaine

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"C'est seulement en faisant confiance à nos professionnels de la santé que nous pourrons éviter que la campagne contre le virus Ebola se retourne contre la sécurité nationale."
Ces jours-ci, deux "guerres" font les titres : celle contre l'Etat islamique et son nouveau califat de terreur s'étant accaparé des régions de l'Irak et de la Syrie, et celle contre la maladie et éventuelle pandémie, du virus Ebola, se propageant au travers de l'Afrique de l'Ouest, avec déjà l'apparition des premiers cas qui ont atteint les Etats-Unis et l'Europe. Les deux guerres semblent tomber du ciel ; elles ont toutes deux été imprévues par notre vaste appareil de sécurité nationale ; elles ont induit des craintes proche de l'hystérie et, dans les deux cas, ces craintes ont été rapidement instrumentalisées par les politiques dans la perspectives des élections étatsuniennes.

Les experts ont déjà dispensé leur science avec solennité sur des menaces d'attaques comme celles du 11/9/2001 contre la patrie, se posant la question de ​la façon dont elles pourraient être contrées, et faisant des analogies dans le cas du virus Ebola avec les attaques à l'anthrax de 2001. Le précédent du 11/9 est encore dans leur esprit. Pendant ce temps, Thomas Frieden, directeur des Centers for Disease Control and Prevention (CDC), a tenté de calmer les inquiétudes aux USA tout en se félicitant ouvertement de «nouvelles idées» dans la lutte contre la maladie. Étant donné que des comparaisons instinctives avec le terrorisme se font aux Etats-Unis, il est difficile de ne pas s'inquiéter sur la teneur de ces nouvelles idées qui pourraient se révéler étrangement similaires à celles qui, dans la période de l'après 11/9, ont amené à définir la guerre contre le terrorisme.

Les différences entre les deux «guerres» peuvent sembler trop évidentes pour insister à ce sujet, car Ebola est une maladie avec une étiologie médicale et des remèdes scientifiques, tandis que l'EI est un ennemi sensible. Néanmoins, le virus Ebola semble imiter certaines caractéristiques que les experts ont depuis longtemps attribuées à al-Qaïda et à ses successeurs en herbe ainsi qu'à ses différentes variantes. Il se cache dans l'ombre jusqu'à ce qu'il frappe. Il menace la sécurité des civils à travers les Etats-Unis. Ses causes profondes se trouvent dans la pauvreté et la misère des pays lointains. Sa diffusion doit être arrêtée dans sa région d'origine - dans ce cas, la Guinée, le Libéria et la Sierra Leone en Afrique de l'Ouest - tout comme les deux administrations Bush et Obama étaient convaincues que la lutte contre Al-Qaïda devaient mener aux déploiements de militaires dans des régions reculées de la planète allant des régions tribales limitrophes du Pakistan jusqu'aux zones rurales du Yémen.

Peut-être que nous ne devrions pas être surpris - alors que le président Obama a envoyé au moins 1 600 militaires (et des drones et des bombardiers) pour lutter contre l'EI - que sa première réponse face à la crise de l'Ébola fut également d'envoyer 3.000 soldats au Liberia dans ce que les médias ont nommé la "poussée d'Ebola" (une allusion à la "poussée" des troupes US en Irak en 2007). Le deuxième acte de l'administration Obama : a été de renforcer la protection des frontières afin d'assurer le contrôle des individus entrant aux États-Unis (un mouvement dont l'efficacité a été mise en doute par certains experts médicaux), de même que les autorités ont rapidement, dans le sillage du 11/9, transformé les aéroports et les frontières en zones de sécurité massives. Le troisième acte fut de commencer à tracer tous les personnes entrées en contact avec les victimes du virus Ebola, qui, imite étrangement les logiques et les procédés que l'état a commencé à déployer pour construire une cartographie des réseaux terroristes, établir des listes de surveillance, etc.
"La facilité avec laquelle des autorités non-médicales étatsuniennes semblent avoir opté pour un modèle de guerre contre le terrorisme pour faire face à l'Ebola doit être examinée - et rapidement."
La prochaine étape à l'étude pour ceux qui pourraient avoir été exposés au virus, la quarantaine (qui est, une détention), est controversée parmi les experts médicaux, mais devrait de même nous rappeler quelle direction a pris la guerre contre le terrorisme après le 11/9 : à Guantanamo. Comme si les règles du jeu pour l'après 11/9 lors de la lutte contre le terrorisme étaient les mêmes que pour l'Ebola. Tim Murphy, du Congrès de Pennsylvanie, en interrogeant le Dr Frieden, a noté que, si nous ne mettons pas les politiques de surveillance, de confinement et de quarantaine en place, "nous avons toujours un risque ".

Alors que chacune de ces étapes pourraient se montrer individuellement sensible, la facilité avec laquelle des autorités non-médicales étatsuniennes semblent avoir opté pour un modèle de guerre contre le terrorisme pour faire face à l'Ebola doit être examinée - et rapidement. Si cela devient le modèle par défaut pour gérer le virus Ebola et que le pays finit par marcher sur la voie de la «guerre» contre une maladie, les problèmes pourraient être bien pire.

Alors peut-être est-il temps de nous rafraîchir la mémoire à propos de ce modèle de guerre contre la terreur et de tirer quatre leçons de prudence pour ne plus jamais reprendre cette direction à nouveau, qui n'a rien à voir avec l'élaboration d'une politique de lutte, ni à voir avec la poursuite du confinement d'une maladie.

Première leçon: Ne faites pas de la «guerre» contre l'Ebola un vaste programme de contrôle s'appuyant sur les structures de la sécurité nationale autour du renseignement, de la surveillance et de l'armée. Chercher, par exemple, les personnes se plaignant de symptômes d'Ebola en privé ou chercher les métadonnées des citoyens concernant les appels vers des médecins seraient une mission folle, ce serait l'équivalent de chercher une aiguille dans une meule de foin.

Et gardez à l'esprit que, aussi loin que nous pouvons nous rappeler, depuis le 11/9, le système de surveillance qu'ils ont construit a régulièrement montré ses défaillances. Il n'a pas, par exemple, permis d'arrêter le Shoe Bomber, le terroriste de Times Square, ou les terroristes du marathon de Boston. De même les services de renseignement, malgré tout l'argent investi depuis le 11/9, n'ont pu prévenir l'attaque de Benghazi ou le meurtre de sept agents de la CIA par un kamikaze sensé être un agent double US à Khost, en Afghanistan, en décembre 2009, pas plus qu'ils n'ont permis de prévoir la montée de l'EI. De même, il est difficile d'imaginer comment des militaires, pourront, avec des drones, des forces spéciales et des troupes sur le terrain résoudre le problème du virus Ebola.

Dans l'après 11/9, des solutions militaires ont souvent prévalu, quelque soit le problème qui se posait. Pourtant, finalement, des invasions de l'Afghanistan et de l'Irak à l'opération aérienne en Libye aux campagnes de drones de la CIA sur les tribus aux confins du Pakistan et du Yemen, aucune solution militarisée n'a apporté de victoire - et la nouvelle guerre contre l'État islamique (EI) en Syrie et en Irak semble déjà suivre le même chemin lamentable. Contre un virus, l'armée étatsunienne est susceptible d'avoir encore moins de succès si ce n'est d'aider les travailleurs de la santé et les fonctionnaires dans les zones insalubres.
"Il est difficile de comprendre comment de simples militaires, à partir de drones, de forces spéciales et de troupes sur le terrain pourront résoudre le problème du virus Ebola"
Les outils que la sécurité nationale a invoquées dans sa guerre contre le terrorisme, non seulement ne fonctionnent pas (et sont très peu susceptibles de fonctionner quand il s'agit d'intervenir dans conflit au Moyen-Orient), mais s'ils étaient appliqués à l'Ebola cela aurait sans aucun doute des conséquences catastrophiques. Et encore - compter sur elle - pour enrayer la peur de cette maladie. Ils sont ce que le gouvernement sait faire, même si, dans la guerre contre le terrorisme, ils ont créé une vulnérabilité d'autant plus grande que la somme de toutes leurs actions, ont contribué à favoriser la croissance des mouvements djihadistes dans le monde, et à éroder le sentiment de confiance qui existait entre le gouvernement et le peuple étatsunien.

Deuxième leçon: Faites en sorte que les professionnels de la santé publique soient responsables de ce qui doit être fait. Trop souvent, dans la guerre contre le terrorisme, les professionnels avec une expertise ont été mis de côté par la mise en place de directive sécuritaire. Le système judiciaire, par exemple, fut embarrassé lorsqu'il fut confronté aux accusations contre des agents d'Al-Qaïda, alors que l'expertise de ceux qui n'ont trouvé aucune preuve d'armes de destruction massive en Irak en 2002-2003 a été ignorée.

C'est seulement en faisant confiance à nos professionnels de la santé que nous pourrons éviter que la campagne contre le virus Ebola influence l'état de la sécurité nationale. Et c'est seulement en refusant de militariser la crise potentielle, comme cela a été fait après le 11/9, que nous éviterons les catastrophes qui en découleraient. L'essentiel ici est de garder la lutte contre le virus Ebola dans le domaine civil. Plus cette lutte sera laissée aux mains des médecins et experts en santé publique qui connaissent la maladie, le mieux ce sera.

Troisième leçon: Ne pas enfermer la lutte contre le virus Ebola dans l'opacité. Les architectes de la guerre contre le terrorisme ont invoqué le secret comme l'un des piliers principaux de leur nouvelle façon de faire. Dès le début, l'administration Bush a caché cavalièrement ses politiques sous le voile du secret, affirmant que la sécurité nationale demandait que des informations sur ce que le gouvernement faisait devait être occulté aux yeux du peuple étatsunien afin de garantir leur propre "sécurité". Bien que Barack Obama soit entré dans le bureau Oval en proclamant une présidence "transparente", son administration a agi de manière encore plus féroce pour occulter les actions de la Maison Blanche et l'état de la sécurité nationale. ll suffit pour cela de ne citer que deux exemples, les justifications politiques de l'administration Obama entourant ses campagnes d'assassinats à l'aide de drones et l'étendue de ses programmes de surveillance de la population sans mandat.

En l'occurrence, ce mur du secret a montré sans cesse qu'il était faillible, alors que les fuites n'ont cessé d'inonder le monde. Néanmoins, l'envie de recréer un tel état de secret dans un autre secteur peut être particulièrement tentant. Ne soyez pas surpris si la guerre contre le virus Ebola se dirige dans l'ombre - et c'est bien la dernière chose dont le pays a besoin pour venir à bout d'une telle crise de santé publique. À ce jour, avec les professionnels médicaux toujours à la pointe de ceux qui traitent publiquement les malades atteints du virus Ebola, cette impulsion doit être transparente. Sous leur égide, des informations sur les premiers cas d'Ebola qui ont atteint ce pays et les problèmes liés à l'Ebola n'ont pas disparu derrière un voile de secret, mais ne comptez pas que cette transparence dure si les choses venaient à s'empirer. Pourtant occulter des faits importants sur une éventuelle pandémie galopante conduirait à la panique et à une détérioration rapide de la confiance entre les Etats-uniens et leur gouvernement, une relation déjà mise à rude épreuve depuis des années dans la guerre contre la terreur.

En réalité, l'opacité représenterait un point de départ de particulièrement mauvais augure pour le lancement d'une stratégie de lutte contre l'Ebola à un moment où il serait crucial pour les Etatsuniens de connaître les échecs et les succès. Les épidémies de panique drapées dans l'ignorance ne sont absolument pas un moyen d'arrêter la propagation de la maladie.

Quatrième leçon: Ne pas appliquer la méthode des «prisons secrètes (Black sites)» à la lutte contre le virus Ebola. La guerre contre le terrorisme a été marquée par la création de prisons spéciales ou «sites noirs» hors de portée du système judiciaire des États-Unis pour la détention (dans le cas du virus Ebola on pensera : isolement et quarantaine) de personnes soupçonnées de terrorisme, des lieux où beaucoup de choses sinistres se sont passées. Il n'est pas nécessaire que les patients atteints par la maladie d'Ebola, une fois diagnostiquée, soient isolés. Des combinaisons de protection et des unités d'isolement sont déjà utilisées dans le traitement des cas ici.

La question plus vaste de la quarantaine, cependant, se profile comme le premier grand débat de politique publique potentielle de l'époque Ebola. Gardez un œil sur ce point. A cause de la guerre contre le terrorisme, les tendances à la mise en quarantaine sont déjà gravées dans le mode de gestion des crises par le gouvernement, de sorte que la mise en quarantaine semblera naturel pour ses fonctionnaires.

La quarantaine est un phénomène redouté par les défenseurs des libertés civiles comme une réaction excessive qui se révélera inefficace quand il y aura une propagation de la maladie. Elle va priver les individus de leurs relations, plutôt que de les traiter effectivement quand ils afficheront effectivement des signes de la maladie. Pour beaucoup, cependant, cela apparaîtra comme une solution miracle, un équivalent de Guantanamo pour l'Ebola, un établissement pour ceux qui ont été jugés potentiellement porteurs d'une maladie terrorisante.
"Occulter des faits importants sur une éventuelle pandémie galopante est la garantie de conduire à la panique et à une détérioration rapide de la confiance entre les Etatsuniens et leur gouvernement."
Les craintes qu'une menace de quarantaines massives peut créer ne fera que rendre les choses plus difficiles pour les autorités sanitaires. Il en ira de même pour les appels aux interdictions de voyager pour ceux qui viennent des pays d'Afrique de l'Ouest, une suggestion qui rappelle une politique de profilage qui ciblera des groupes plutôt que des individus. Éviter ces interdictions n'est pas juste une question ayant trait à la préservation des libertés civiles, mais tout aussi bien une question de sécurité. Les craintes de mises en quarantaine massive et d'être soumis à des interdictions de voyager pourraient conduire les personnes concernées à devenir beaucoup plus discrètes sur la divulgation des informations concernant leur maladie et beaucoup plus mensongers dans la planification de leur voyage. Cela pourrait favoriser la propagation et non stopper la diffusion du virus Ebola.

Comme Thomas Frieden de la CDC l'affirme,
"nous savons en ce moment qui arrive. Si nous essayons d'interdire les voyages, certains voyageurs prendront d'autres trajets sur la terre, et passeront par d'autres endroits, et nous ne saurons pas où ils iront ce qui signifie que nous ne serons pas en mesure de prendre des mesures. Nous ne serons pas en mesure de vérifier leur température quand ils partent. Nous ne serons pas en mesure de contrôler leur température quand ils arrivent. Nous ne serons pas en mesure, comme nous le faisons actuellement, de relever l'historique détaillé pour voir si ils ont été exposés quand ils arrivent." En d'autres termes, une réaction trop agressive pourrait effectivement rendre la détection médicale beaucoup plus difficile.
Les États-Unis sont sur ​​le point d'être confrontés à une maladie qui par la manière dont ils vont gérer la crise pourrait concorder remarquablement bien avec la manière dont ils ont mené la guerre contre le terrorisme. Dans ce contexte, pensez à l'Ebola comme un défi injuste de l'univers à notre système gouvernemental de défense érigé sur un modèle militaire et guerrier. Ces choses que les Etats-Unis ont fait, souvent de manière inefficaces et contre-productives, pour contrecarrer ses ennemis, ses ennemis potentiels, et même ses propres concitoyens ne seront pas un antidote contre cet «ennemi» non plus. Cela pourrait être un fléau transnational, originaire des pays fragiles, et affectant ceux qui seraient confrontés à la maladie, mais il ne peut pas être arrêté par les procédés de la sécurité nationale.

La lutte contre le virus Ebola, nécessitera une nouvelle série de protections et de priorités, qui devrait émerger des communautés médicales et de santé publique. Les Instituts nationaux de la santé et d'autres organisations aujourd'hui, malheureusement sous-financés, se sont penchés sur les situations de pandémie possibles depuis des années. Il est impératif que nos fonctionnaires tirent les leçons de leurs recherches alors qu'ils ont omis de le faire à plusieurs reprises avec leurs homologues dans les politiques publiques durant la guerre menée contre le terrorisme, depuis des années. Convoquer une fois de plus les pouvoirs étatiques à s'occuper des fantasmes et des peurs plutôt que des réalités de la propagation de la maladie aboutirait à jouer dangereusement avec le destin.

Karen J. Greenberg est le directeur du Centre de la sécurité nationale à Fordham Law, l'auteur de The Least Worst Place: Guantanamo's First One Hundred Days, une contributrice régulière de TomDispatch, et la rédactrice en chef de Morning Brief, un compte-rendu quotidien des informations concernant la sécurité nationale.
http://fr.sott.net/article/23677-Le-modele-de-la-guerre-contre-le-terrorisme-serat-il-le-modele-de-gestion-de-la-crise-de-l-Ebola

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